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O.N.G. - Extrême-orient(é)
7 septembre 2011

Qui était le roi Jayavarman VII ?

Jayavarman VII

Jayavarman VII est incontestablement, parmi les rois angkoriens, celui qui suscite la plus grande fascination, convoquant une multitude d’énigmes et de fantasmes.  

Le fait qu’il soit le seul souverain d’Angkor dont on possède des portraits sculptés participe d’évidence de sa notoriété. De nombreux éléments de sa biographie restent ignorés (et le resteront probablement à jamais), permettant de gloser sur la légende du dernier grand souverain d’Angkor, metteur en scène d’une apothéose khmère bientôt promise à la ruine et la décadence. Le moins qu’on puisse dire en se basant sur les éléments sur lui rassemblés, c’est qu’il a su marquer son époque. Angkor, sans lui, n’aurait pas le même visage.  

En premier lieu, Jayavarman VII est un libérateur. On sait que 1177 est une année noire pour Angkor : les troupes du roi du Champa envahissent le royaume khmer et, entrant dans Angkor, pillent et dévastent la capitale avant de s’y installer. Ne pouvant accepter cette humiliation, le futur Jayavarman VII lève depuis les provinces des troupes composées de Khmers et de mercenaires ; il parvient à chasser l’occupant, après avoir écrasé l’armée ennemie sur le lieu où sera plus tard érigé le temple de Preah Khan. Fédérant ensuite les nombreux fiefs seigneuriaux khmers sous son autorité, il se fait sacrer « roi-dieu » en 1181, et se venge des Chams en allant jusqu’à annexer leur territoire. La grande stèle du Phiméanakas décrit ainsi l’épopée : « Ayant par sa patience dans l'infortune vaincu dans le combat ce [roi des Chams] dont les guerriers étaient comme un Océan sans limites, après avoir reçu le sacre royal, il posséda, par la conquête de Vijaya (capitale du Champa) et des autres pays, la terre purifiée, qui pouvait être dite sa maison. » Les bas-reliefs du Bayon ont immortalisé, de la plus belle façon, ces récits épiques. 

Ensuite, Jayavarman VII est un bâtisseur, et même si l’on a peut-être surestimé le nombre de ses constructions (minorant d’autant le rôle de ses successeurs), il n’empêche qu’aucun roi n’avait à ce point marqué de son empreinte le territoire khmer. La politique de grands travaux menée par Jayavarman VII semble obéir à une tradition – mise en évidence par Philippe Stern – qui implique de s’atteler à trois catégories de chantiers : les fondations d’intérêt public (hôpitaux, gîtes, aménagements hydrauliques, etc.) ; les temples consacrés aux ancêtres (les labyrinthiques temples-monastères de Ta Prohm et de Preah Khan sont ainsi respectivement consacrés à la mère et au père du roi) ; un « temple-montagne », réplique microcosmique du mont Meru, axe central du monde et du Royaume (le Bayon). 

Troisièmement, Jayavarman VII est un rénovateur, c’est-à-dire qu’il est l’instigateur d'une profonde mutation religieuse et matérielle au sein de la société khmère, tout en s’inscrivant dans la plus ancienne tradition angkorienne. Soucieux de s’identifier à Jayavarman II, fondateur quatre siècles plus tôt de la puissance angkorienne, Jayavarman VII choisit comme lui de se faire sacrer Monarque Universel sur le mont Kulen. Fondant Angkor Thom, une capitale nouvelle avec le Bayon comme axe central, il choisit de conserver le nom donné par le roi Yaçovarman Ier au « premier Angkor » : Yaçodharapura. C’est donc sur la base de ce legs prestigieux que Jayavarman VII va rénover et reconstruire le royaume khmer, déployant pour cela une énergie formidable. On ne peut qu’être d’accord avec les conclusions de Christine Hawixbrock qui, dans un Bulletin de l’EFEO de 1998, place ce règne « entre tradition et modernité ». 

Grande nouveauté : le règne de Jayavarman VII se place sous l’empreinte du bouddhisme mahayana à qui le souverain accorde le statut de religion officielle, rompant avec des siècles caractérisés par la domination des cultes shivaïtes et vishnouïstes. Les thèmes hindous continuent d’être représentés dans les temples mais l’iconographie bouddhiste s’impose désormais majoritairement. A la triade indienne (Brahma, Vishnu, Shiva) succède donc une triade bouddhiste (le Buddha encadré par Avalokitesvara et la Prajnâpàramitâ). L’apparition des mystérieuses « tours-visages » (représentant en une même image le bodhisattva Lokesvara et le portrait du roi divinisé Javayarman VII) seront la matérialisation architecturale la plus spectaculaire de ce nouvel esprit ; elles témoignent superbement du génie créatif du souverain, autant que de sa volonté d’assoir une omnipotence sur le pays entier. 

Javayarman VII est probablement mort entre 1218 et 1220. Dès lors, le déclin d’Angkor, amorcé à la fin du règne du souverain, est irrémédiable, malgré de fugitives et fragiles reconquêtes. Année après année, le pays se fragilise et se fissure, connait invasions et coups d’Etat, tandis que la fantastique machinerie hydraulique se détraque dangereusement. Les temples de Jayavarman VII subiront les outrages du temps, abandonnés aux étranglements de la forêt tropicale. Et Jean Boisselier de conclure : « Apparemment, après 1431, il ne restait rien de l'œuvre ambitieuse de Jayavarman VII que des monuments, certes, prestigieux mais qui avaient perdu leur raison d'être… Mais si tout l'édifice savant qui tendait à doter le Cambodge angkorien d'une puissance indiscutable et indestructible semble s'être écroulé au bout de quelque 250 années, il n'en reste pas moins que le système qui consistait à matérialiser la puissance du Souverain Universel et à associer tous les rites royaux hindouistes à la pratique du bouddhisme a été non seulement conservé par le Cambodge mais encore copié par divers royaumes bouddhistes du sud-est asiatique. Et cette survivance, comme ce rayonnement, jusqu'en notre XXe siècle, de conceptions élaborées du temps de Jayavarman VII est sans doute le résultat le plus étonnant d'une politique remplie d'innovations et, finalement, le témoignage inattendu de la réussite profonde de l'entreprise aussi bien que de la validité de la doctrine... » (« Pouvoir royal et symbolisme architectural : Neak Pean et son importance pour la royauté angkorienne », Arts asiatiques, tome 21, 1970) 

via http://lefildangkor.canalblog.com

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