Japon : La fabrique d'une nation
Okinawa, 1879. L'Empire japonais nouvellement proclamé annexe
officiellement le royaume des Ryûkyû, dont l'ile d'Okinawa est le cœur. Jusque-là, cet archipel était quasi indépendant, bien
qu'historiquement placé sous une double sujétion : dans le giron de la
Chine, il était également, depuis 1609, sous le protectorat du clan
Shimazu, un clan féodal du sud du Japon. Ce petit royaume florissant
suscite en effet toutes les convoitises : situé à égale distance de la
Chine, du Japon et de Taiwan, il est au cœur du trafic maritime
nord-asiatique. En cette seconde moitié du XIXè siècle, le Japon, qui
est en train de se constituer en puissance impériale, revendique sa
souveraineté totale sur l'archipel des Ryûkyû, c'est-à-dire son
intégration pure et simple au département nippon de Satsuma. Le petit
royaume, littéralement menacé de toutes parts, se débat dans un jeu
diplomatique délicat. Sans compter qu'au même moment les États-Unis,
cherchant à mettre fin à la politique de fermeture totale pratiquée par
le Japon à l'égard du monde extérieur, renforcent leur diplomatie dans
le Pacifique.
Avec Tenpesuto, l'écrivain okinawais Eiichi
Ikegami retrace cette période charnière de l'histoire d'Okinawa. Son
héroïne, Mazuru, est une belle jeune femme, érudite et polyglotte, qui
se fait passer pour un homme, Neion, afin de pouvoir intégrer la haute
administration royale et mettre son intelligence et son pragmatisme au
service du triple jeu diplomatique mené par le royaume face à la Chine,
à l'Empire japonais et aux États-Unis. Un roman historique en deux
tomes qui connaît, depuis sa sortie en août 2008, un immense succès. « Car
en retraçant l'histoire moderne d'Okinawa, Eiichi Ikegami nous rappelle
que le Japon d'aujourd'hui a son origine dans un passé expansionniste
et colonial. Il déconstruit la belle et grande histoire de la nation
telle que les manuels tentent de nous la raconter », analyse le poète Shinji Saitô dans l'hebdomadaire tokyoïte Syûkan Dokusyojin. « Car
l'État-nation japonais que nous connaissons, sa culture et sa langue
ont été artificiellement construits dans le temps et l'espace, imposés
par un empire qui n'hésitait pas à annexer des territoires pour
alimenter la "fabrique des sujets de l'empereur" menée au début de
l'ère Meiji et de la modernisation. »
La culture
japonaise n'est pas homogène et ne se résume pas à celle de Kyoto ou
Tokyo. Elle est faite de diversité et comprend les cultures et les
langues d'Okinawa, d'Hokkaïdo (au nord de l'archipel), etc. « Tenpesuto,
conclut le poète dans l'hebdomadaire Syûkan Dokusyojin, se fait l'écho
d'un sujet de réflexion et de débat de plus en plus investi par la
recherche universitaire et les médias : la remise en cause du passé
impérial du Japon. »
Books Magazine, Février 2009