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O.N.G. - Extrême-orient(é)
20 octobre 2014

L’esprit des choses : la marionnette

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Cela commence comme un souvenir d’enfance, un souvenir commun à tous les enfants, que ce soit à Tokyo ou à Istanbul, Berlin, Londres ou Paris. A l’intérieur d’un cadre joliment paré, d’étranges petits êtres s’agitent, nous font rire (ou pleurer). Pour les petits Allemands, l’un de ces personnages s’appelle Kasperl; il est Punch pour les petits Anglais tandis qu’en Italie, le bon vieux Pulcinella ravit encore le jeune public. A Lyon (sa ville natale) ou à Paris, nous l’appelons tout simplement Guignol. Quant aux Turcs, ils s’enchantent toujours des facéties de Kharageuz.

Les marionnettes ne concernent pas seulement les enfants. Dans le jardin du Luxembourg, un panneau prévient toujours qu’elles amusent « petits et gens d’esprit ». Au Japon, depuis des siècles, le Bunraku propose aux adultes ses histoires de samouraïs et d’a mours impossibles avec ses figurines de grande taille manipulées à vue par des marionnettistes vêtus de noir. Ce sont les histoires des héros de chansons de geste que nous conte l’« opera dei pupi » sicilien avec ses marionnettes à fils aux armures étincelantes. Chez les Allemands, peuple métaphysique s’il en fut, les marionnettes à gaine nous ont transmis la légende de Faust et de Méphistophélès.

La marionnette nous vient de très loin. Xénophon, dans son Banquet, les mentionne déjà sous le nom de « nevrospastoi », ce qui veut dire à peu près « mus au moyen d’une corde ». Plus tard, d’autres marionnettes apparaissent à Rome, puis dans l’Europe médiévale. L’Orient n’est pas en reste. La Chine découvre les plaisirs du théâtre d’ombre et de la marionnette à gaine alors que, dans le delta du Fleuve rouge, s’agitent, dès le XIIe siècle, les premières marionnettes sur l’eau du Vietnam.

Qu’elle soit à gaine, à fils ou à tringle, qu’elle soit stylisée jusqu’à ne devenir qu’une ombre, la marionnette est universelle. Tous les peuples à un moment de leur histoire ont eu besoin de ce miroir où se représentaient leur mémoire, leurs grandeurs, mais aussi leurs travers, voire leurs ridicules.

C’est que le pantin ou la poupée à gaine ne sont pas des êtres vivants. A force d’incarner des personnages divers, l’acteur peut inspirer une certaine inquiétude; on peut même le croire possédé par le personnage qu’il incarne (d’où l’excommunication des comédiens au temps de Molière). La marionnette, elle, rassure. Elle ne prétend pas au réalisme, encore moins à l’incarnation: elle est toute représentation. Une marionnette n’a pas d’états d’âme. Les émotions qu’inspire son humanité stylisée naissent d’une pure convention où la réalité ne peut s’immiscer. Cela est si vrai que l’un des thèmes favoris du cinéma d’épouvante demeure la marionnette ou la poupée de ventriloque soudain animée d’une existence propre. La seule exception est peut être le Pinocchio de Carlo Collodi (pas celui de Disney) qui se meut d’ailleurs dans un univers bien sombre.

Dans son théâtre particulier, le castelet, la marionnette nous offre un monde radicalement séparé du nôtre. Et malheur à celui qui se laisse prendre au jeu comme Don Quichotte venu secourir Don Gaïferos sur le théâtre de Maître Pierre! Il y découvrira son insupportable folie. On ne touche pas aux marionnettes comme on ne touche pas à un rêve: la magie se volatiliserait sans retour.

Car c’est bien de magie qu’il s’agit, une magie ancienne mais toujours active, souvent même dans les formes les moins traditionnelles, en apparence. D’une certaine façon, la télévision, cette grande réductrice, continue à perpétuer cette magie. Certains se souviennent peut-être des marottes d’André Tahon, le père de la regrettée chenille Ploom. Plus proche de nous, le Muppet Show de Jim Henson sut donner un coup de jeune à un art antique, tout comme, un degré en dessous, les Guignols, d’ailleurs repris des « spitting images » anglo-saxonnes. La vulgarité et parfois la sottise sont trop souvent au rendez-vous. Mais peuton reprocher à une marionnette de n’être qu’un miroir? Là est sans doute la tragédie des marionnettes: devenir trop facilement prisonnières de l’air du temps.  Jean-Michel Diard

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