Encore un soir

L'alcool est triste quand il épuise et assomme avant même d'enivrer. Pourtant, malgré les joueurs de djumbé et les touristes japonais, la Seine est toujours aussi belle. On s'y suiciderait bien si l'on n'avait pas décidé de n'être rien d'autre qu'un clown. Les bateaux-mouches glissent tranquillement sur leur lumineuse indifférence, chargés de tous ces gens qu'il est si facile et si médiocre de mépriser. Le mépris, c'est bien tout ce qu'il reste quand on a personne avec qui faire une photo kitsch sous le pont des Arts. Il faut alors s'inventer des turbulences et des complexités, des drames et des passions, toute une tragédie de mauvais roman de gare.

Personne n'est plus capable d'aimer autre chose que son ego et ce qui le flatte, personne ne peut plus s'oublier davantage que quelques heures, alors autant l'accepter, l'admettre, et ne pas jouer les grandes âmes outragées quand, en fait, seule l'incapacité à capter ces instants éphémères, délicieux et vains nous fait vraiment souffrir. Nous ne rêvons pas d'idéal et de permanence mais simplement du remplacement des premiers rôles par les faire-valoirs. La médiocrité ne nous gêne pas, nous regrettons simplement que ce ne soit pas la notre qui soit mise à l'honneur. C'est pour cela que l'on marche sans fin sur des quais bombardés de rires et de silhouettes titubantes, prisonnier d'une poésie factice et surannée, d'une déréliction devenue mécanique... La laideur portée par l'oeil rejoint celle de l'objet regardé, et il n'y a plus rien, jamais, qui surprend ou qui détrompe. Le monde est au delà de ses pires descriptions et l'on ne peut qu'indéfiniment l'insulter de nous donner si implacablement raison. Nous n'avons même plus besoin de mourir puisque nous ne pouvons exister. Et le bruit des trains de marchandises entrant tardivement Gare de Lyon accompagne les prémices de nos cauchemars éveillés.

Excellent A moy que chault