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O.N.G. - Extrême-orient(é)
20 mai 2013

Le billet de banque

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C’est la grande nouvelle de la semaine dernière: nous allons avoir un nouveau billet de cinq euros. Chose plus extraordinaire encore, ce nouveau billet va, pour la première fois dans la brève histoire de la monnaie européenne, proposer à nos regards admiratifs un visage humain et mieux encore un visage de femme.

Oh bien sûr, le visage en question devra se con tenter de quelques millimètres carrés dans une ban de latérale du billet gris verdâtre. Il n’en sera pas moins holographique, et, surtout, ses traits seront ceux de la princesse Europe, fille d’Agénor et grande amatrice de voyages à dos de taureau blanc si l’on en croit la mythologie hellénique. Voilà qui devrait nous changer un peu de ces monuments pompeux et anonymes qui encombrent les actuels biftons européens.

Nul ne peut sérieusement le nier, ces derniers désolants à pleurer, ne font qu’entretenir une nostalgie tenace, celle des talbins de notre enfance. Où sont passés les Debussy, les Saint-Exupéry et les Gustave-Eiffel, ou, pour les moins jeunes, les Pascal, les Delacroix et les Quentin-Latour ? Certains se souviennent même du billet de cent francs à l’effigie de Bonaparte ou du 50 francs arborant la trogne du bon roi Henry.

La qualité esthétique n’était pas toujours au rendez-vous, mais cela vous racontait du moins une histoire, notre histoire, avec ses artistes, ses hommes d’Etat et ses inventeurs, une histoire d’hommes, pour tout dire. Il faut croire qu’à l’image de sa monnaie unique, l’Europe a voulu se passer de cette humanité, voire d’humanité tout court. On honore les colonnes attiques, mais on étrangle les Grecs.

Le billet de banque est à lui seul une histoire, d’ailleurs tumultueuse. On peut bien sûr remonter au premier papier monnaie des Chinois qui fit tant rire les contemporains de Marco Polo; on peut aussi évoquer les lettres de change utilisées par les Templiers et les banquiers lombards du Moyen Age, mais il faut attendre la fin du règne de Louis XIV et la Régence pour voir apparaître le « billet de monnoye » (devenu ensuite « billet de l’Estat ») qui sera emporté par la banqueroute de Law. L’affaire devait procurer à nos aïeux une solide aversion pour tout ce qui n’était pas espèces sonnantes et trébuchantes.

Cette aversion fut renforcée par l’assignat, brillante innovation révolutionnaire qui vida quelques milliers de bas de laine. Aujourd’hui encore, on trouve dans certains greniers de ces assignats à la valeur faciale mirifique et au pouvoir d’achat devenu moins que zéro en deux années. Le franc germinal aura beau faire preuve ensuite d’une stabilité extraordinaire (pas de dépréciation significative pendant soixante ans!), le citoyen ordinaire, fût-il aisé, n’admet dans sa bourse que la monnaie métallique, pièces d’or comprises.

Le billet de banque existe pourtant bel et bien, mais, réservé aux fortes sommes (500 francs au minimum, soit environ 3300 euros), il suscite chez le peuple une sorte de terreur. Dans Les Misérables, Hugo nous montre son effet sur la logeuse de Jean Valjean: « La vieille reconnut avec épouvante que c’était un billet de mille francs. C’était le second ou le troisième qu’elle voyait depuis qu’elle était au monde. Elle s’enfuit très effrayée. » Il faut attendre la IIIe République pour que le peuple commence à domestiquer l’étrange morceau de papier plus précieux que l’or.

Puis le fafiot va cesser de faire peur pour faire rêver, et, le plus souvent, rêver sur ordre. Pendant la Grande Guerre, le profil marmoréen du chevalier Bayard orne le billet de 20 francs. S’ensuivent d’autres coupures, toujours plus belles et plus colorisées, toutes censées porter un message, des « valeurs ». Mais quelles valeurs durables peut porter ce rectangle de papier qui a une fâcheuse tendance à être retiré de la circulation puis démonétisé? Le billet de banque a beau valoir plus cher que l’or, il ne sera jamais de l’or.

Mais quelque chose le menace plus directement. A l’heure où les échanges financiers se réduisent à de simples jeux d’écritures, le billet de banque risque de disparaître au profit de la monnaie électronique.

C’est pour le coup que nous regretterons bientôt nos pauvres vieux euros de papier.  

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