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O.N.G. - Extrême-orient(é)
25 octobre 2011

Le Japon, la fleur et l’acier

La_NouvelleQue n’a-t-il pas vécu, l’ancien pays de Yamato depuis la révolution Meiji de 1868 jusqu’au désastre de 1945 ? Avant cette révolution de 1868, le Japon vivait concentré sur lui-même sans cultiver la volonté d’affirmation extérieure qui était en ce temps le propre des nations européennes. En revanche, il avait cultivé à un point rare sa propre façon d’être, à la façon des Grecs avant Alexandre. Il avait cultivé une civilisation extrêmement raffinée, ce qui n’excluait pas la cruauté, scandée par des rituels de type religieux qui imprégnaient les gestes les plus minuscules de la vie. Cette civilisation était irriguée par la permanence impériale et l’exemplarité d’une aristocratie guerrière qui s’imposait à elle-même une morale stricte sanctionnée par la mort volontaire. Quand survint l’épreuve de 1853, l’irruption agressive des «navires noirs» du commodore Perry, le Japon n’était pas préparé techniquement. Mais nul pays n’était mieux préparé mentalement pour relever le défi ô combien redoutable de la puissance technique occidentale. Nul pays non plus n’était mieux préparé pour survivre aux épreuves du siècle suivant.

En préparant notre dossier consacré au Japon, j’ai relu les courts poèmes (waka) de l’actuelle impératrice Michiko. Avant son époux, l’empereur Akihito, 125 empereurs d’une même lignée s’étaient succédé sans interruption depuis le premier descendant de la déesse solaire, Amaterasu, comme le veut la légende. De quoi nous étourdir, nous enfants d’un pays qui s’applique de mille façons à oublier et renier son passé. Oui, je relisais ces poèmes qui vibrent du «ton suprême». Ils m’avaient été communiqués par mon ami l’écrivain Tadao Takemoto qui en fut le traducteur et le présentateur. On doit les lire et s’en pénétrer si l’on veut éprouver de l’intérieur la permanence du Japon.

Pour commencer, voici les quatre derniers vers du poème écrit pour la cérémonie de majorité du prince impérial Hironomiya: « Au seuil de ses vingt ans, enfance abandonnée, / Cœur serein de cristal, il marchera dès lors / Sur la voie large et droite des glorieux ancêtres. / Prince viril, il se dresse là, ô mon fils. » Ce fut écrit en février 1980, dans un Japon paisible, démocratique et besogneux que l’on dit américanisé, trente-cinq ans après Hiroshima. Et justement, pour le 50e anniversaire de l’apocalyptique bombardement, en 1995, l’impératrice écrivit avec une infinie retenue le waka que l’on va lire : « Sur Hiroshima / foudroyé voici cinquante ans, / tombe paisiblement / la pluie, / la pluie et sa douce odeur. » L’année précédente, l’impératrice avait célébré dans l’île d’Iwo Jima le sacrifice des combattants japonais durant des combats désespérés, un demi-siècle plus tôt: « Ces lieux du souvenir / aujourd’hui paisibles / sont remplis d’eau, / cette eau que vous appeliez en vain, / courageux combattants ! » Et voici encore le bref poème écrit pour commémorer la fin de la guerre (1945) : « Parties sur quelle mer, quelle terre / je l’ignore. / Elles demeurent invisibles, / les nobles âmes / gardiennes du pays. » Pas de plainte, pas de regrets, pas de larmes, bien que celles-ci se pressent dans les yeux du lecteur sensible à la gravité des mots et à l’évocation des «nobles âmes, gardiennes du pays ». Ces mots disent avec une pudique émotion l’éternité de l’âme japonaise. Comment n’y serions-nous pas sensibles, nous, Européens, qui nous attachons envers et contre tout à faire revivre l’âme assoupie de nos peuples?

Dominique Venner

1. Sé-oto. Le chant du gué, de l’impératrice Michiko du Japon. Anthologie de 53 waka. Traduction, notes, chronologie, biographie et postface de Tadao Takemoto, avec la collaboration d’Olivier Germain-Thomas, Éditions Signatura, Paris, 2006, 130 p., cahier photos, 17 €. Jeune fille d’origine roturière prodigieusement douée, Michiko fut choisie comme épouse du Fils héritier du Soleil. L’origine du waka (poème court calligraphié) est aussi ancienne que celle du pays de Yamato, nom antique du Japon.

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