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O.N.G. - Extrême-orient(é)
7 octobre 2011

L'aventure si je veux

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Zentropa

Le creux des vagues semblait sans fond. Les trois quarts des passagers, déjà livides par mer calme, étaient enfermés dans leurs cabines, recroquevillés sur leurs couchettes. Des effluves pestilentiels commençaient à envahir les coursives…

Tous avaient rêvés d’expéditions audacieuses, d’horizons sauvages et lointains, de jonques mystérieuses glissant vers des destinations inconnues et se rendaient aujourd’hui compte que leur estomac n’était pas tout à fait à la hauteur de leurs aspirations.

Quinze jours par an, c’est trop peu pour transformer un expert comptable ou un web-designer en Corto Maltese, même avec le forfait « Authentique » de « Terres d’Aventures », l’agence de voyages « pour les explorateurs, pas pour les touristes. »

Même Myriam, l’attachée de presse qui « connaissait super bien Beigbéder » et « avait déjà fait le Kilimandjaro et la route des Indes » ne semblait pas très flamboyante malgré son mini-short camouflé et son gilet multi-poches de reporter de guerre. Par orgueil, elle s’acharnait à demeurer sur le pont mais son teint virait sérieusement au vert et elle fermait régulièrement les yeux pour tenter d’échapper au roulis de plus en plus infernal.

Les marins philippins ricanaient discrètement en l’observant, pensant qu’ils s’amuseraient peut-être à la doigter un peu lorsqu’elle tomberait dans les pommes, comme il l’avait fait à la grosse anglaise de la précédente croisière.

Frédéric lui aussi était resté sur le pont mais simplement parce que toute idée de mouvement lui était impossible, inenvisageable, le cœur au bord des lèvres et les jambes totalement flageolantes. D’une main moite, il tripotait son Blackberry, hésitant à contacter « Europe Assistance » pour réclamer un hélitreuillage d’urgence pour lequel il avait souscrit une assurance appelée « Vous êtes un guerrier, mais on ne sait jamais. »

A cet instant, il rêvait du confortable moelleux des sièges classe affaires d’Air France qui, d’ailleurs, lui auraient coûté moins cher que cette tragi-comédie en voilier où il devait en plus « participer aux tâches quotidiennes » sous l’œil goguenard d’un vieux capitaine très certainement davantage choisi pour sa balafre cinématographique et son faciès de vieil alcoolique que pour ses compétences  maritimes et qui semblait n’avoir plus d’autre ambition que de découvrir les limites insondées de la connerie bourgeoise.

L’attachée de presse était maintenant à genoux et déglutissait bruyamment les restes de son petit déjeuner sur le bastingage. Cette vision autorisa Frédéric à vomir à son tour, pensant, pour se consoler, à toutes ces belles anecdotes qu’il narrerait fièrement dès son retour au bureau.

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