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O.N.G. - Extrême-orient(é)
24 octobre 2010

Entrevue avec Fanny et Mathilde (« Tour d’Europe à pied »)

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Zentropa : 6000 kilomètres à pied, à deux, à travers l’Europe, est-ce plus dur physiquement ou moralement ?
Mathile : Les moments extrêmement durs physiquement ont été rares mais intenses. L’important est dans la tête, « là où il y a une volonté, il y a un chemin » et ces objectifs physiques nous ont aidés moralement, ils combattaient certains instants de lassitude ( oh, non, encore 4 mois à marcher…) qui étaient pénibles. Nous avions l’impression parfois de ne plus apprendre de la marche, voulions passer à quelque chose de plus concret, c’est à dire à créer quelque chose. Mais rapidement nous trouvions une solution pour y remédier : changement de rythme, journée culturelle ou littéraire.
Fanny : A priori, j'aurais répondu moralement ! Car le corps possède une formidable capacité d'adaptation, et même si les premiers kilomètres restent dans notre mémoire comme les plus douloureux physiquement, la gestion du moral s'est faite tout au long du voyage. Mais finalement, nous étions parties très optimistes et étions sure d'y arriver. La volonté est toujours la plus forte !

Le plus dur est finalement l'avant voyage ! Il faut être sur de vouloir partir, si c'est le cas, il n'y a rien de difficile !

Votre amitié a-t-elle bien résisté à tout ce temps passé constamment ensemble ?

M : Elle a évoluée : supporter, dans tous les sens du terme, la même personne H 24 pendant10 mois n’est pas évident, loin de là. Nous sommes très différentes, mais complémentaires. Nous avons la même vision du monde, du raid mais une façon différente de l’exprimer. Ca nous a servi pendant le Tour d'Europe, nous avons chacune tempéré nos caractères. Mais le retour à la vie « civile » n’est pas évident, surtout que nous sommes en colocation, il faut du temps pour que nous nous réhabituions à l’autre dans un contexte différent. Mais une telle amitié ne peut que continuer.
F : Avant de partir nous étions les "meilleures amies" et avions décidé de le rester. Un mot d'ordre : tout se dire avant que la goutte d'eau ne fasse déborder le vase. 24h/24 ensemble pendant 10 mois, peu de gens le vivent ! Il fallait donc prendre des mesures spéciales. Malgré nos nombreuses prises de bec régulières nous sommes restées amies et aujourd'hui, nous vivons en collocation. Ce n'est certes pas toujours facile, mais cette aventure nous a beaucoup appris sur nous même, et nous a surement donné des pistes pour nos futures vies en couple !

A un moment ou un autre de votre périple avez-vous envisagé d’arrêter, de renoncer ?
M : Jamais ! A chaque problème sa solution. Trop dur ? Nous ralentissons ! Trop ennuyant : on augmente les étapes ! Il fait froid ? On marche plus vite ! On va boire un verre dans un bar ! On se réfugie dans nos sacs de couchage ! Trop chaud ? Une rivière ! On s’entend plus ? Une bonne engueulade !
F : JAMAIS ! Nous étions partie pour aller jusqu’au bout ! les mauvaises langues n’ont qu’à bien se tenir !

L’Europe que vous avez découverte est-elle conforme à l’idée que vous vous faisiez d’elle en entamant votre marche ?
M : On se sent partout chez soi en Europe, mais ce qui m’a marqué c’est la permanence des grandes aires de civilisation latine, slave, germanique, celte. On sent le fond commun et les sensibilités différentes de chacune de ses aires. Nous le savions par les livres, nous le confirmons ! Nous sommes aussi parties pour savoir comment les gens vivaient cet héritage. Malheureusement, pour ceux qui le vivent, c’est d’une façon inconsciente par habitude mais de plus en plus ils sont happés par les autres qui le dilapident, inconsciemment aussi, en adoptant un mode de vie consommateur, tous tirés par le modèle américain, par la vie facile, par les valeurs marchandes alors même que tout cela est aux antipodes des valeurs qui ont construit notre civilisation depuis des millénaires. Même si la tendance est encore atténuée dans les pays ayant connu le communisme, ils se rapprochent très vite du modèle occidental, bien aidés en cela par l’Union Européenne.
F : Pas toujours, nous avons beaucoup appris, surtout en Europe de l'est au niveau historique et social

Est-il possible de tirer une image générale qu’ont de la France les différents peuples européens que vous avez côtoyés ?
M : Les Européens ont une double vision de notre pays, nous avons les qualités de nos défauts : toujours en grève mais c’est l’esprit de résistance, le pays de la mode mais nous sommes superficiels, le pays du luxe mais nous sommes arrogants, pays riche culturellement mais qui ignore la culture des autres.
C’était d’ailleurs assez marrant de faire deviner notre nationalité : les gens répondaient espagnoles car nous étions tannés à cause du soleil ou allemandes car nous marchions et donc avions des habits techniques. Ils avaient toujours du mal à imaginer que nous étions françaises…sans talons aux pieds, sans cigarette aux lèvres et essayant de parler les langues étrangères !
F : Il y a plusieurs images de la France véhiculées en Europe, différentes selon les grandes zones géographiques, quelques exemples :
- Slaves : Même si nous possédons la richesse matérielle, il nous manque la Liberté de pensée
- Germains: Nous serions arrogants
- Latins : Paris / la mode
- Celtes : En écosse et en Irlande, ils nous apprécient beaucoup pour la "old alliance" contre les Anglais

Mais en général la France est associée à la mode, l'élégance, mais aussi l'arrogance ...

Une « conscience européenne » vous semble-t-elle exister dans les différents pays que vous avez traversés ?
M : Si les hommes de l’avenir ont la plus longue mémoire comme le pensait Nietzsche, l’avenir n’est pas tout rose. La plupart des européens sont contre l’Europe car ils l’assimilent à l’Union Européenne. Que l’une ait 5000 ans d’histoire et l’autre 50 ans n’a pas l’air de les toucher ou de les empêcher de les amalgamer. Les gens sont globalement hostiles à Bruxelles et à ses lois mais quand nous leur expliquons notre vision de l’Europe, de son histoire, l’attachement charnel qui nous lie à elle, ils sont globalement d’accord. Je ne dirais donc pas qu’une conscience européenne existe, car certains sont internationalistes et donc ne définissent pas dans le cadre de la civilisation et d’autres sont nationalistes et voient avant tout l’intérêt de leur pays avant celui de l’Europe, alors que les deux sont pourtant étroitement intriqués. Ceux qui possèdent cette conscience européenne sont donc une minorité, mais la majorité est-elle vraiment nécessaire ?
F : Le positionnement identitaire des gens, des particuliers, est souvent fondé sur l'histoire proche géographiquement. Ainsi certains pays ne s'allieront jamais avec leurs voisins pour des raisons historiques. Mais beaucoup considèrent qu'a priori il existe bien une identité Européenne même si elle n'est pas prioritaire.

Nous avions pour ça créé un petit questionnaire pour mieux comprendre la vision des gens sur l'Europe.

Dans diverses conférences que vous avez données depuis la fin de votre expédition, vous évoquez une certaine « perte de mémoire » des européens, une forme de désintérêt pour leurs traditions, légendes et coutumes. Quels sont, selon vous, les principales causes de cette progressive perte d’identité ?
M : Y a t-il déjà eu une réelle mémoire ? Ou les gens vivaient-ils ainsi depuis des millénaires par habitude ? Ce qui est sûr, c’est qu’il existait une mémoire populaire, un réservoir de légendes et de traditions qui permettaient aux gens de vivre ce qu’ils étaient. Or il est évident que ce réservoir se vide. La télévision d’une part car elle tue le lien social : les gens ne se rassemblent plus pour partager des moments et des savoirs mais se vautrent dans leur canapé. La mécanisation de la vie agricole également, car elle a vidé nos campagnes et industrialisé un monde qui a perdu une partie de son âme au change. La mondialisation et les valeurs marchandes enfin, car elles imposent l’Avoir au détriment de l’Etre.
F : La première cause est à n'en pas douter le phénomène de mondialisation. Par exemple le conflit entre Irlande du Nord et Irlande du sud s'essouffle, d'une part car les Irlandais sont lassés de la violence, mais également car aujourd'hui quel intérêt de se dire Irlandais si la même chaîne de supermarché qui remplie les frigos de tout bon Anglais, existe à la fois en Irlande du Nord et du Sud. Les Européens ont trouvé un certains confort dans le système actuel.

La télévision est certainement l'outil qui tue le plus la mémoire des européens en interdisant tout rassemblement communautaire tels que les veillées d'autrefois.

Place aux anecdotes : Votre meilleur souvenir culinaire ?
M : un mouton grillé dégusté sur la route d’Olympie, invitées par un grec incongru.
F : Du poisson en papillote cuit au feu de bois avec ses petits légumes grillés à l'huile d'olive !

Le pire ?
M : un repas pris dans une maison non chauffée alors qu’il faisait – 25 degrés dehors, la soupe fumée refroidissait et les petits gâteaux au chocolat avaient un étrange goût de roquefort.
F : Une pâtée immonde de flocons de riz revenue dans un vin aigre que des Grecs venaient de nous offrir !

Le personnage croisé le plus étrange ?
M : Allister, un écossais qui nous a proposé l’hospitalité, sa voiture pour visiter la région après avoir échangé trois mots avec nous. Le lendemain matin pour déterminer qui allait faire la vaisselle, il avait préparé un concours de tir à la carabine…
F : Un grec qui nous a accueilli chez lui en nous annonçant, les larmes aux yeux la mort de sa femme ... trois ans auparavant !

La « légende européenne » qui vous a le plus marquée ?
M : Celle du révérend Kirk, en Ecosse. Cet homme a écrit une histoire du petit peuple des forêts car il le côtoyait et le connaissait très bien. Mais le petit peuple n’a pas apprécié que ses secrets soient ainsi dévoilés et l’a enfermé dans un arbre. Nous nous y sommes rendues, des enfants ont accroché partout des rubans pour que les fées qui veillent sur le révérend exaucent leurs vœux…
F : Le lincetto de Lucca, car la légende pourtant vieille, décrit les lieux avec une fidélité remarquable ... la légende serait-elle donc vraie ?

Votre plus grand moment d’enthousiasme ?
M : Un chant qui a résonné sur un sommet de la chaîne des Apennins en Italie.
F : Arriver au sommet d'une montagne ! Respirer à plein nez l'air qui remonte sur ses flanc et chanter !

La plus grosse difficulté du voyage ?
M : Une journée en Ecosse, où ma sciatique m’exténuait et Fanny m’insupportait.
F : Arriver à Bilund (Danemark) après 2 mois passés dans la grande plaine froide de l'Europe centrale ...

Votre premier geste en revenant en France ?
M : Embrasser le sol
F : Embrasser le sol, écouter le son des cloches et se ruer dans la première boulangerie pour aller déguster un croissant en terrasse !

Le retour à la vie « sociale » et « citadine » s’est-il bien passé ? Qu’avez vous retrouvé avec le plus de plaisir et qu’est-ce qui vous manque déjà de votre période de marche?
M : Le retour s’est très bien passé, au bout de dix mois, nous avions envie de passer à autre chose et de retrouver une vie sociale. Ce qui me manque le plus est de sentir le vent en haut d’un sommet et de contempler la vue sur la vallée et les montagnes environnantes, un livre à la main en surveillant le repas qui mijote sur le feu…
F : Nous avons retrouvé avec plaisir nos amis et notre familles, en un mot, notre communauté ! Rien de matériel n'a pu autant nous manquer que ces êtres chers !

Après un repos bien mérité, avez-vous de nouveaux projets pour prolonger cette aventure ou en entamer de nouvelles ?
M : Peut-être…
F : L'écriture de nos aventure, me donne envie de repartir ... mais où quand, comment ?! Je ne sais encore. Mais dans d'autres conditions, c'est certain !
En attendant d'autres aventures nous attendent, celles de la vie "normale" !

Merci et encore félicitations pour cette belle aventure européenne !

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