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O.N.G. - Extrême-orient(é)
6 octobre 2010

Entrevue avec Sottofasciasemplice (Zentropa 2007)

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Il peut sembler superflu de présenter quelqu'un comme Katanga, personnalité brillante qui se cache derriè Intolleranza et Sottofasciasemplice... Et pour ceux qui n'ont pas grandi en se nourrissant de morceaux tels qu'Ancora in piedi, Come il vento, Steppa ou Crociato, eh bien... Tant pis pour eux ! Aujourd'hui, nous avons justement le plaisir de l'interviewer, lui, l'instigateur de projets musicaux toujours innovants et avant-gardistes, en mettant l'accent sur la dernière production de Sottofasciasemplice, c'est-à-dire Idrovolante (Hydravion).

Il y a beaucoup de détails qui sautent aux yeux avant même l'écoute d'Idrovolante, lorsque, la curiosité attisée, on feuillette les pages du riche livret, ce sont les lieux dans lesquels celui-ci a vu le jour - Egypte, Japon et, finalement, Italie - ainsi que les langues dans lesquelles il est traduit : anglais, français et japonais. Peux-tu nous dire deux mots au sujet de cette variété géographique et linguistique qui rend, dans une certaine mesure, ce CD cosmopolite ?

Katanga : Un peu par la force des choses, un peu en raison des choix que j'ai fait dans ma vie après l'arrêt brutal d'Intolleranza, je suis somme toute resté assez peu en Italie. Dans mes projets, depuis Gambadilegno, j'entendais construire une trilogie. Le trois a toujours été pour moi un chiffre d'une certaine façon décisif. De fait, l'impact de l'Orient est déjà à la base de la troisième partie, qui la concluait, de la trilogie SFS : Crociato. Mais l'Orient a mis à l'épreuve nombre de mes précédentes et faciles convictions et m'a permis d'aller encore au-delà. La chaleur, la douceur des panoramas par rapport à notre marbre, les portraits mystérieux des divinités antiques. Les saveurs presque trop douces et mielleuses, l'imprécision et la patience, le fatalisme. Les dorures excessives, les calligraphies infinies, les femmes voluptueuses et surchargées d'or et de joyaux. C'est au milieu de ce chaos que naît l'Idrovolante, et que, paradoxalement, il m'a été possible de redéfinir et de clarifier moi-même mes valeurs-clé. Je te laisse en tirer les conclusions.

Il a fallu presque six ans pour terminer ce quatrième album, qui a été enregistré dans des lieux très divers, avec l'aide de nombreux musiciens très différents, les derniers, justement, japonais. J'ai tout fait pour profiter de cette occasion pour « crasher » ce qui, autrement, aurait été une trilogie SFS. Naturellement, je n'ai rien contre les trois disques précédents, que je considère comme faisant partie intégrante d'un seul et même chemin. Mais là où la trilogie était sombre, j'ai voulu construire un disque plus lumineux. Là où le message était obscur, j'ai voulu le clarifier. Là où les titres étaient focalisés sur des personnages « inhumains ou déshumanisés », comme Gambadilegno, Perseo, et Crociato, j'ai choisi au contraire un instrument mécanique, un moyen. J'espère que cet hydravion est un instrument et un message de libération et d'espérance pour l'auditeur.

A en juger par les contenus et les expressions musicales d'Idrovolante, on peut penser que ça fait un moment que tu as ce projet en chantier. Comment une œuvre aussi soignée, variée, parfois complexe prend-elle naissance et quelles sont tes sources d'inspiration, tant d'un point de vue conceptuel que strictement musical ?

Katanga : D'un point de vue musical, j'ai voulu m'éloigner des tonalités plus sombres et obscures que j'avais utilisées jusqu'alors. Difficile pour moi parce que j'y retombe sans cesse. Mais peut-être aussi que la collaboration avec d'autres musiciens, dans des endroits où tous les schémas sont complètement libérés de nos règles musicales, m'a permis de m'éloigner de la ligne précédente. En même temps, j'ai également voulu employer le verbe d'une façon différente. Le fait de chanter en italien (et en général de chanter !) a toujours été pour moi source de nombreux doutes. C'est pour cela que j'ai tenté d'employer l'italien pour ce qu'il est, une langue théâtrale faite pour la déclamation, pour l'opéra. L'ambiance des années vingt-trente, les figures un peu excessives, d'annunziennes, en ont favorisé un usage un peu déclamatoire et exagéré. J'espère qu'on en perçoit l'ironie. Le thème des hydravions, des grandes entreprises italiennes nous renvoie à une Italie exceptionnelle, une Italie qui ose et qui stupéfait le monde par les prodiges du design des mécaniques, par le courage, par l'intrépidité. C'est l'Italie que j'aime le plus. La lagune d'Orbitello et son aéroport d'où les centuries ailées d'Italo Balbo se lançaient vers l'Atlantique, les collines de la Maremma sont les paysages de mon enfance, auxquels je suis le plus attaché. Le symbole de l'hydravion est une image pour laquelle je nourris une sincère affection et une profonde admiration.

Comme nous avons eu l'occasion de le dire dans le compte-rendu, la chanson qui nous frappe le plus est Come mai, sans doute l'un des morceaux les plus forts, éloquents et directs qui ont été écrits ces derniers temps. Une représentation crue et réaliste des dérives qu'est en train de subir notre monde et, probablement, l'épisode le moins personnel d'Idrovolante, dans sa façon de s'adresser plus directement à l'auditeur. Il contient aussi une critique de nous-même, de notre vie bien rangée, ramollie et dorlotée par la trop grande affection de ces mamans avec leur café et leurs croissants, critique qui nous conduit à réfléchir sur ce mode de vie douillet et boulimique dont la conséquence naturelle est l'incapacité à reconnaître et à affronter la dure évolution de la société qui nous entoure. Et pour nous, ça renvoie de façon extrêmement évidente et actuelle à la situation de la jeunesse française confrontée à ses néo-compatriotes nord-africains. Sommes-nous encore mobilisés et préparés, même si, nous aussi, nous nous vautrons dans le confort du monde occidental ? Pour paraphraser Scacco al Re, « La vérité, c'est que personne ne peut dire qu'à la fin on se sauvera » ?

Katanga : C'est vrai, Come mai n'est pas une chanson personnelle. Et pourtant, à la fin, c'est peut-être celle qui est la plus personnelle, parce que c'est un véritable exutoire, une liste de choses que je voulais vraiment dire. Sans paraphrase, sans demi-mot, sans symbolique. Directement ce que je pense quand je vois les journalistes, les photos des manifestations pacifistes, les reality show, internet, les journaux télévisés, les messages sur Indymedia. Et puis, à une époque où la scène et les écrans ont été complètement envahis par la pseudo rébellion, pitoyable, simpliste, béate, marchandisée des altermondialistes, j'ai pensé que de nombreux jeunes, qui d'une façon ou d'une autre voudraient vraiment se révolter, n'auraient pas d'autres choix que de rejoindre l'activisme répugnant des « centres sociaux » (1) parce que la véritable rébellion, finalement, est celle qui a une voix et qui se fait entendre. Et ceux-là, de voix ils en ont une. Elle est pleurnicharde, trouillarde, lâche voleuse et menteuse, mais c'est toujours une voix. Chez nous, en revanche, il manque le nombre mais il ne manque pas la voix. Mais le nombre sert à créer la voix qui s'exprime et se lit en des termes qui ne sont pas simplement « alternatifs », mais qui sont originaux. C'est-à-dire véritablement originaires de nous-même. Pas seulement en tant que réponse aux autres. Sinon, on perd à tous les coups. Je me suis rendu compte que, puisque il manque le nombre de voix, il manque la possibilité de manifester en termes compréhensibles par tous notre frustration et notre rage, parfois quasi désespérées, justement en raison du manque de choix possibles. Je me suis dit qu'il fallait que moi aussi, avec SFS, je contribue, comme d'autres le font, à relancer de façon simple et claire un petit nombre de concepts-clé auxquels, pour moi, est liée notre révolte véritable contre le monde moderne. Mais justement parce que ce monde dit moderne n'a en réalité rien de « moderne ». En vérité, il est vieux, périmé, faux et - disons-le, quasi fini. Moi je ne sais pas où se trouve le véritable nouveau monde. Nous verrons bien. En somme, dans « ce monde de ruine destiné à ruiner » (2), l'important est que nous autres nous ayons les idées claires sur ce que sont nos véritables valeurs-clé. Ce sera désormais l'influence de l'Orient, mais s'il est vrai qu'au fond nous mourons tous, alors souvenons-nous que, de toutes façons, tout vieillit et meurt. Même les empires, pour mille ans ou pas. Donc en définitive, ce qui est important, c'est d'y être tant qu'on y est. Seul compte ce que l'on fait tant qu'on est vivant. Donc, nous autres, c'est ce que l'on fait. Les autres... tous au diable !

Vu que ton nom est évoqué dans Il mercenario di Lucera, une ballade aux accents presque irlandais et l'unique reprise d'Idrovolante, révèle- nous donc un secret : Pourquoi Katanga ?

Katanga : En vérité, l'histoire de ce nom, qui m'a été donné justement en raison de la « chanson du mercenaire », a déjà été révélée dans le premier disque, Gambilegno. C'est pour cela que je l'ai mise à la fin d'Idrovolante, comme une espèce de signature. A cette époque, au milieu des années 80, je militais au Fronte della Gioventù, et quand il y avait des manifestations dans des villes « difficiles », on venait souvent en bus d'autres villes pour filer un coup de main. Une fois, en allant à Bologne, il y avait une guitare dans le bus et, va savoir pourquoi, on chantait et rechantait sans cesse dans ses diverses versions la « chanson du mercenaire » qui commence justement par « Je suis mort au Katanga ». A la fin, certains n'en pouvaient plus : « Eh, Katanga ! Mets-la en veilleuse ! » D'autres nous soutenaient : « Eh, Katanga ! Chante-nous Europa Nazione ! » Et même justement : «« Eh, Katanga ! Chante-nous le Cervo bianco ! ». Bref, vu comment sont les Romains, à la fin de la journée je m'appelais désormais Katanga. Voilà comment ça s'est passé.

Comme tous ceux qui se laissent transporter par les textes et les atmosphères de tes chansons, il nous vient spontanément l'idée d'associer Riccardo III  et All'insegna del cervo bianco (3), à cause de cette ironie un peu vacharde qui voudrait bien foutre dehors certains « casse-couilles », comment dire, caricaturaux, qui encombrent nos milieux... Plus généralement, sommes-nous vraiment comme ces chansons nous décrivent ? Vieux tromblons, brutes sans cervelle, métaphysiciens exorbités et obsédés du complot...ou bien alors, comme on l'entend souvent : « s'ils ne sont pas fous, vous n'en voulez pas » ? Mais peut-être aussi que ce qui nous manque, c'est un peu de saine autodérision pour tempérer ces airs dramatiques et tragiques qui nous collent à la peau et que l'on retrouve aussi dans La legge. Qu'en penses-tu ?

Katanga : En réalité, les casse-couilles que j'évoque dans Riccardo III sont surtout les casse-couilles « externes ». Ce ne sont pas ceux du Cervo Bianco. La « fête privée » est une fête entre nous, l'occasion de nous dépouiller vraiment de notre suffisance, de nos accoutrements perfectionnistes, pour admettre une bonne fois pour toutes que non, nous ne sommes pas parfaits et que, va savoir, c'est peut-être en raison de ces peurs, de ces incertitudes et de ces zones d'ombre intérieures que nous nous sommes retrouvés tous ensemble, « tous éloignés, tous proches » (4), à combattre pour des idéaux tellement élevés et lumineux. Mais au fond, le culte mithraïque, solaire par excellence, ne se célébrait-il pas dans l'obscurité souterraine ? Et voilà qu'alors les casse-couilles rentrent par la porte de derrière et qu'on se les retrouve parmi nous à nous réciter et à nous dicter des règles plates et livresques, faites pour nous démontrer un mensonge obscène, à savoir que oui, nous sommes parfaits, oui nous sommes les meilleurs, oui nous sommes les plus forts, oui nous sommes les plus justes. C'est là, au contraire, que si nous avons le courage de nous dépouiller de tout, y compris de nos propres corps, et de regarder seulement nos âmes, alors les casses-couilles s'envolent, ceux de l'intérieur comme ceux de l'extérieur, et il ne reste que les âmes, c'est-à-dire les valeurs-clé, les battements de cœur. Des âmes humaines et imparfaites, capables d'admettre leur faiblesse et, en cela, invincibles. Je le répète : invincibles. Parce qu'elles connaissent et admettent pleinement leurs propres imperfections. Riccardo III est la déclamation d'une âme fatiguée mais invincible. Mais le message se veut aussi politique. Je dis : faisons-en davantage de ces fêtes privées. Refermons les portes, laissons dehors ceux qui n'ont pas à entrer et, entre nous, mettons en discussion, ces super grands thèmes et ces super tabous et ces super certitudes. Et puis toutes les super réinterprétations faites de super lieux communs qui nous sont souvent servis prédigérés d'on ne sait trop d'où. Mystère. Discuter, c'est agréable et ça fait du bien. Nous autres, italiens, nous ne venons pas des forêts mais des traditions méditerranéennes et civiques, du forum romain. Etre capables de discuter entre nous est un luxe propre à ceux qui s'appuient sur des siècles de civilisation. Et ça rend invincible. Telle est ma conviction. Ceci est, au fond, une proposition que je vous fais aussi à vous, de Novopress, vous qui avez mis sur pied ce magnifique projet. Essayons de refermer les portes et de discuter entre nous de notre façon de voir le monde et son histoire, non pas à travers le prisme de l'idéologie réinterprétative (qui parfois ressemble tellement à l'idéologie soviétique des années cinquante) mais simplement à travers notre cœur, à travers ces valeurs et ces aspirations qui nous ont rassemblés (depuis des siècles ?) et qui nous rassemblent tous aujourd'hui sous nos bannières, toujours vivants, toujours prêts, toujours pleins de joie et d'espérance. Ce n'est pas inutile. C'est fondamental. Le concept de l'invincibilité est un antique concept solaire que j'ai cherché, d'une certaine manière, à faire apparaître en fond dans tout Idrovolante. Je sais que certains l'ont saisi dans le bruit du moteur qui est la base de certains morceaux. L'hydravion lui-même est un moyen potentiellement libre et invincible. Dépouillons-nous de toute rigidité idéologique barbare, ne gardons que quelques valeurs-clé sûres et claires, avec un sincère esprit latin, et nous serons invincibles.

Entre sonorités brit. et électroniques, qui rappellent parfois Moby, entre les idéogrammes japonais et les harmonies suggérées par les traductions françaises, il y a un espace pour un sentiment patriotique renouvelé exprimé dans Mediterraneo, à travers une ode à ce qui est notre peuple. S'agit-il d'une dévotion simplement poétique ou au contraire d'un élan de propagande ?

Katanga : J'ai écrit Mediterraneo parce que je sens que notre peuple a des difficultés avec sa Mer et avec son appartenance. Je sens que notre peuple se sent très occidental et fort peu méditerranéen. C'est une erreur grossière qui me fait craindre pour notre cohabitation avec ceux qui ont été - pour le meilleur et pour le pire - nos compagnons de route méditerranéens. Tu as raison quand tu dis que nous nous vautrons dans la facilité et - j'ajoute - dans la paresse mentale et spirituelle de ce monde occidental. Il y a beaucoup de confusion. En somme, admettons-le, vivre en paix avec nos voisins est un véritable luxe. Bien sûr, c'est un luxe auquel nous avons raison d'aspirer, mais ça reste un luxe, c'est-à-dire quelque chose de difficile à obtenir, comme tout luxe qui se respecte... Ainsi, comme tout le monde, nous avons le droit d'aspirer à une nature préservée, à un monde où chacun vit heureux et content. Nous y aspirons mais c'est un luxe, donc c'est très difficile. Tout le monde ne peut pas s'offrir facilement les meilleurs vins, les meilleurs mets, le meilleur oxygène. Et alors pourquoi la cohabitation avec nos voisins serait-elle facile ? Elle est difficile. Bien sûr, pour les bolcheviques (anciens et nouveaux), c'est toujours facile. Bolcheviques, symboles de la paresse mentale et intellectuelle. Il suffisait de prendre aux possédants et de redistribuer. Mais on sait bien comment ça s'est terminé, parce qu'à force de prendre aux autres et de ne jamais rien construire soi-même, tôt ou tard il ne reste que la merde. La merde pour tout le monde. Même chose pour la paix et la cohabitation. Pour les nouveaux bolcheviques, c'est facile. Il suffit d'ouvrir les portes, d'agiter les drapeaux arc-en-ciel, peut-être bien pousser des chansonnettes minables sur le parvis des églises. Mais la paix et la cohabitation sont un luxe exceptionnel et qui doit se payer par un énorme effort. On ne vit en paix avec ses voisins que si l'on fait un énorme effort pour défendre soi-même sa propre culture et sa propre identité. Un peuple sûr de sa propre identité n'a aucune peur d'ouvrir ses portes à l'étranger, il ne le craint pas et ne perd ni sa propre identité ni sa propre culture. Rome n'a jamais eu peur de s'ouvrir vers l'extérieur sinon, justement, à sa fin.

Moi-même, ça fait désormais des années que je vis au milieu de gens de races, de cultures et de langues différentes des miennes. Est-ce pour cela que je perds ma propre identité, ou que je me transforme, ou que je m'oublie ? Si je me transforme, c'est seulement en mieux. J'apprends des autres et, si possible, les autres apprennent de moi. Mais pour cela, je dois être sûr de ma culture, l'aimer et l'interpréter de façon originale. Certains ne seront sûrement pas d'accord, mais je trouve inutile que nous nous déguisions en européens du nord : nous autres, italiens, sommes des méditerranéens. Historiquement, lorsque nous nous comportons comme des méditerranéens, la Méditerranée nous aime et nous regarde quasiment comme un peuple-guide ; lorsque au contraire - par un étrange et inexplicable complexe d'infériorité et pour des raisons qui, sincèrement, m'échappent - nous imitons (mal) nos cousins du nord de l'Europe, la Méditerranée se moque de nous. Avec Idrovolante, et en prenant à bras le corps notre histoire des années vingt et trente, j'ai presque envie de dire : ras-le-bol des Vikings ! Et puis qu'est-ce que j'en connais, moi, des Vikings ? Comment puis-je me sentir plus proche d'eux que, par exemple, des libanais ? Comment ne pas voir les mêmes couleurs et ne pas sentir les mêmes saveurs de la Méditerranée sur toutes ses côtes ? Le génie Italique est un génie méditerranéen ! Comment se voiler la face et ne pas voir les ruines de l'Empire sur toutes les côtes sud de cette mer véritablement exceptionnelle ? Le berceau de la Civilisation. De la Syrie à l'Egypte, de la Libye au Maroc ? Comment ne pas voir, aujourd'hui encore, le soin que mettent les habitants de ces pays à entretenir ces ruines et la fierté et l'admiration avec lesquelles ils les indiquent ? Ne serait-ce pas un signe de cécité totale ? Alors comment ne pas s'émerveiller quand on découvre que les colonnes du Panthéon sont arrivées par bateau le long du Nil jusqu'à Alexandrie, puis par mer jusqu'à Rome ? Oublier la richesse propre à notre mer au nom de je ne sais quel idéal nordique et obscur, c'est comme se couper soi-même les jambes. Notre force réside dans Notre Mer. C'est là que réside notre destin d'Italiens. Personne au monde ne possède une mer aussi riche d'histoire, de peuples, de couleurs, de saveurs.

Outre la question rituelle « quels sont tes futurs projets », nous voudrions mettre l'accent sur un aspect qui nous tient beaucoup à cœur, à savoir l'art, cinématographique, musical, visuel, etc. Autrefois, l'art était considéré comme un outil de diffusion des idées indispensable, tant en raison de son efficacité immédiate que pour son impact émotif. Que s'est-il passé entre temps ? Comment en est-on arrivé - mis à part quelques exceptions - à négliger totalement ce vecteur extrêmement important de communication ?

Katanga : « quels sont tes futurs projets », ça me plaît beaucoup, parce que SFS est un groupe pour lequel j'ai beaucoup d'affection et qui m'a vraiment apporté d'innombrables satisfactions. Je voudrais sans doute voir dans l'avenir la sortie d'un nouvel album. En réalité, certains morceaux sont déjà écrits, même s'il est trop tôt pour en connaître les sons et le « concept ». Ce que tu dis sur l'art est tout à fait vrai, et tu as sans doute aussi raison sur la négligence. Le résultat est que notre musique demeure toujours de la « musique alternative » et pas seulement de la musique tout court.

Malheureusement, beaucoup d'obstacles, nous nous les mettons nous-mêmes, alors imagine un peu les autres... Imagine-toi qu'il m'est arrivé de m'entendre dire : « toi, tu ne peux pas faire de la musique parce que tu ne milites pas » ; Alors j'ai répondu : « qu'est-ce que ça vient faire là ? Moi, j'ai commencé par militer dans la rue, et à présent je milite en faisant et en produisant ma musique et celle des autres. Ce n'est peut-être pas une contribution importante, ça aussi ? » Réponse : « Non, parce que pendant que vous jouez, il y en a qui sont dans la rue et qui prennent vraiment des risques. » Et moi : « Et bien c'est justement pour cela que nous écrivons et que nous enregistrons ces chansons ! C'est justement pour appuyer tout ce qu'ils font et pour leur apporter un soutien, afin qu'ils puissent bien montrer à tout le monde qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils ne sont pas hors du temps, qu'ils ne sont pas une minorité restreinte sans aucune idée ! Qu'est-ce que tu voudrais ? Tu penses que ce serait mieux si nos disques n'existaient pas ? Qu'ils n'aient jamais été enregistrés, distribués ? Ce serait mieux si toutes ces choses n'avaient jamais été dites ni entendues ? Qu'est-ce que tu voudrais exactement ?». Réponse : réponse que dalle en vérité ! Parce qu'il n'y a rien à répondre. La vérité, c'est que nous devrions produire encore plus de tout et dans toutes les directions ! Et surtout, nous ne devrions pas chercher à remplacer ce qui est produit par les crasseux de l'autre bord. Moi, je suis content 99 Posse ou Manu Chao ou les Inti Illimani existent. Et qu'est-ce que j'en ai à foutre ? L'important, c'est que moi j'enregistre et je produise et je dise et je fasse ce qui me plaît à moi. Qui va essayer de m'en empêcher ?

Voilà ! C'est ça la véritable lutte, la lutte pour notre territoire, la lutte pour nous défendre contre tous les censeurs casse-couilles, la lutte pour que personne (ni dehors, ni dedans) ne nous empêche de créer, de jouer, d'enregistrer. C'est pour cela que l'activité de Perimetro, Rupe Tarpea, Paranoise (je ne cite qu'eux parce que ce sont eux qui me produisent) et des autres labels de notre milieu est pour moi quelque chose de quasiment sacré, parce que c'est une activité intrinsèquement « bonne », parce qu'elle est dédiée au ravitaillement et au soutien de l'effort créatif et expressif, sans lequel le monde serait triste, sombre et privé de sens.

Nous te remercions pour ton magnifique travail sur Idrovolante et pour le temps que tu nous as consacré.

Katanga : C'est moi qui vous remercie pour vos compliments et pour cette occasion qui m'a été donnée.

(1) Squats gauchistes nombreux en Italie
(2) In Come mai
(3) Dans l'album Gambadilegno. Pour comprendre de quoi il est question ici, on peut se reporter à la traduction de la chanson à l'adresse suivante : http://www.coqgaulois.com/SFSParolesGambadilegno.html
(4) Référence à la chanson Canti assassini de Massimo Morsello

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