Les années sombres
_ Tante, comment s'est passée la révolution pour vous ?
_ Nous avons tout perdu...
_ Du jour au lendemain ?
_ Oui, un jour mon père est venu nous voir, nous a dit : "je dois abandonner les 2 usines et on part"
_ Et il a accepté sans broncher ?
_ Il était accompagné par de l'armée, il ne pouvait pas nous expliquer en
détail, en plus nous étions jeunes. En 2 heures nous avons réuni nos
affaires et nous avons été expulsés de la maison.
_ Pour aller dans des camps ?
_ Non non, pour aller vivre quelque part à la campagne, dans le
Nord-Ouest, il n'y avait rien du tout, le sol était très sec, rien n'y
poussait hormis une ou deux variétés de plantes sauvages. C'était très
dur. Entre Novembre et Mai nous n'avions que cela à manger. Maintenant
plus personne dans la famille ne mange de légumes trop "naturels".
_ Vous étiez abandonnés ? Votre père travaillait ?
_ Avec 3 autres familles dont les pères travaillaient pour le mien,
nous vivions au milieu de nulle part dans une grande maison. Les
femmes et les enfants essayaient de faire pousser des choses. Les
hommes essayaient d'aller dans les villages voisins trouver de quoi
manger contre du travail ... mais personne n'avait rien. Les habitants
des villages les plus proches, qui étaient à 15/20kms, ne nous aimaient
pas. Ils avaient peur qu'en nous aidant ils leurs arrivent la même
chose.
_ Vous avez vécu là-bas longtemps ?
_ Jusqu'à la fin de la révolution, 10 ans plus tard. Mais sache que ce
n'a pas été le pire pour mon père. Il a du avouer ses crimes ... ses
crimes ... il était petit, chétif et très intelligent ... son seul
crime était d'avoir réussi. Des fanatiques sont venus le chercher,
sûrement accompagnés des villageois qui cherchaient des
boucs-émissaires. Il
portait une grosse pancarte avec écrit "son nom = bourgeois" dessus. Il
était agenouillé devant un tribunal populaire et des inconnus
l'accusaient de
tout et n'importe quoi, il disait "oui" et "pardon" pour tout.
_ Et il a été ... assassiné ensuite ?
_ Non non ! Dans son cas tout cela fut "heureusement" du "folklore". Ça
a duré une heure. Une heure d'humiliation publique, de mensonges et
d'insultes ... et après on lui a dit de partir et il est rentré à la
maison.
_ C'est bien triste ...
_ Je ne devrais pas te raconter tout cela
_ Pourquoi ?
_ Parce que tu es un étranger et qu'il ne faut dire que cela allait mal.