L'oeil noir
Au cour des dernières minutes du
combat, l'aspect de Musashi avait changé complètement. Ses cheveux
étaient collés par le sang; du sang mêlé de sueur avait teint son
serre-tête en rose. On eût dit le diable même, jailli de l'enfer. Il
respirait avec tout son corps; sa poitrine pareille à un bouclier se
soulevait comme un volcan. Une déchirure de son hakama laissait voir
une blessure au genou gauche; les ligaments blancs, visibles au fond de
l'entaille, ressemblaient aux graines d'une grenade fendue. Il avait en
outre une coupure, à l'avant-bras qui, sans être grave, l'avait
ensanglanté de la poitrine au petit sabre passé dans son obi. Tout son
kimono paraissait teint d'un motif cramoisi. Les spectateurs qui le
voyaient clairement se couvraient les yeux d'horreur.
Plus
épouvantable encore était la vision des morts et des blessés abandonnés
dans son sillage. En poursuivant sa retraite stratégique vers le haut
sentier, il atteignit une surface de terrain découvert où ses
poursuivants se déversèrent pour une attaque massive. En quelque
secondes, quatre ou cinq hommes furent fauchés. Ils gisaient, dispersés
sur une vaste zone, moribond témoignage de la vitesse avec laquelle
Musashi frappait et se déplaçait. L'on eût dit qu'il était partout à la
fois.
Musashi par Eiji Yoshikawa