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O.N.G. - Extrême-orient(é)
31 octobre 2013

L'esprit des choses : le tambour

Sans titre

Voilà un drôle d’instrument de musique. Il ne produit pas véritablement de notes et ses partitions se passent facilement de portées. Les autres instruments chantent, lui se contente de gronder ou d’imiter les battements du cœur. Il peut aussi se faire cruel. Dans le film de Volker Schlöndorff qui porte son nom, offert à un enfant qui refuse de grandir, il souligne la déchéance des années 1930 et de la guerre qui suivra.

Et pourtant le tambour est universel. Rarissimes sont les civilisations qui ne connaissent pas le bruit de la peau tendue sur un fût de bois. Amérindiens, Africains et Japonais l’utilisent depuis des millénaires pour accompagner leurs danses ou leur méditation, voire pour envoyer des messages. Les anciens Perses l’utilisaient dans des cérémonies chamaniques. En Europe et au Proche Orient, il ponctue depuis des millénaires la plupart des activités humaines, à commencer par la guerre. Car chez nous, le tambour est d’abord un instrument guerrier, plus précisément un instrument d’infanterie. Si l’on en croit le Cyrano d’Edmond Rostand, ce serait même lui qui fait le soldat (« Tu vois, il a suffi d’un roulement de caisse! / Adieu, rêves, regrets, vieille province, amour… Ce qui du fifre vient s’en va par le tambour! »).

Pourtant, le Moyen Age, époque cavalière s’il en fut, l’avait délaissé. Il faudra l’arrivée des fantassins suisses dans les armées de François 1er pour que la France le retrouve et qu’il devienne le fidèle compagnon de la troupe à laquelle il annoncera réveils, retraites et charges. C’est lui qui donnera la cadence quand le maréchal de Saxe fera marcher nos armées au pas. Le Ier Empire pourrait même se résumer à un interminable roulement de tambour, qu’il s’agisse du tambour du champ de bataille ou de celui qui rythme la vie des premiers lycées napoléoniens. Après tout, il s’agissait de former l’encadrement pour les guerres à venir.

Mais le bon vieux tambour « d’ordonnance » a bien vite dépassé le domaine militaire et on l’a retrouvé accompagnant les danses de cour et villageoise comme en témoigne L’Orchésographie de Thoinot Arbeau publiée en 1589. On le retrouvera aussi dans les villes et les villages, où, sans parler des fêtes, il préviendra les habitants des nouvelles du monde extérieur – ou des consultations gratuites du docteur Knock. Aujourd’hui encore les batteurs des groupes de jazz, de folk ou de rock sont les héritiers directs des tambours de la Garde impériale dont ils ont gardé jusqu’aux termes techniques, sans le savoir d’ailleurs.

Cette omniprésence du tambour, sous ses diverses modalités, constitue un vrai mystère. Après tout, il existe d’autres instruments de musique, et d’autres moyens de produire du son, susceptibles d’être entendus à une distance respectable, à commencer par la trompette ou le cor, sans même parler des moyens offerts par les technologies modernes. Le tambour ne serait donc pas un instrument à percussion comme les autres avec ses étranges pouvoirs?

La réponse est peut-être à chercher du côté de nos sens. Nous entendons le son de la guitare, du piano ou du trombone, mais la résonance du tambour ne sollicite pas seulement l’oreille. C’est d’ailleurs ce qui explique son importance dans certains styles de musique actuels: l’orchestre classique relègue timbales et caisse claire à l’arrière-plan, à l’anecdote, parce qu’il cherche d’abord à être entendu, mais le batteur contemporain sait qu’il s’adresse à tout le corps, exactement comme le tambour d’ordonnance lorsqu’il menait le soldat au combat et souvent à la mort. Le tambour peut être un compagnon terrible.

Les Japonais ont compris cela en inventant le « taïko », cette façon de jouer du tambour qui peut être considérée comme une musique, un art martial ou une méthode de méditation. Pour certains, il s’agit même d’une « voie » au sens mystique du terme tant la technique semble passer au second plan. C’est l’âme du joueur qui se déverse dans l’instrument, un instrument fabriqué dans le respect jaloux des règles traditionnelles.

D’où qu’il vienne, civil ou guerrier, le tambour ouvre décidément d’étranges voies. 

Jean-Michel Diard

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