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O.N.G. - Extrême-orient(é)
11 juillet 2009

Le monde survivra-t-il à la mort de Michael Jackson ?

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C’est la question qu’on peut se poser après avoir vu déferler à l’échelle planétaire une vague de « Jacksonmania » en comparaison de laquelle l’« Obamania » de ces derniers mois ne fut qu’une plaisanterie. Dès l’annonce de la mort du chanteur, toutes les chaînes de télévision du monde, ou peu s’en faut, se sont transformées en « Jackson channels » – « breaking news » oblige. Certaines d’elles, depuis, ne diffusent plus que des clips de l’inventeur du Moonwalk. En France, les grandes chaînes généralistes ont elles aussi immédiatement changé leurs programmes, faisant disparaître pendant plusieurs jours toute information qui n’émanait pas de Neverland. Plus un mot sur la situation en Iran, sur la guerre en Afghanistan, sur les attentats en Irak. Priorité à Michael Jackson !

Depuis, les reportages et les hommages se succèdent en boucle tandis que, de Los Angeles à Tokyo en passant par Paris, Buenos Aires ou Nairobi, des rassemblements spontanés réunissent des centaines de milliers d’hallucinés munis de leurs téléphone portables et de leurs lecteurs de mp3. On saura tout sur Jackson, ses origines, sa carrière, ses changements de peau, ses succès (750 millions de disques vendus), ses ultimes répétitions, ses derniers instants, ses enfants, ses finances, son héritage. On saura tout parce qu’il faut tout savoir. Le tout noyé dans un déluge de dithyrambes et d’hyperboles. Le plus grand chanteur, les plus grosses ventes, le plus génial, le plus créateur, le plus, le plus…

Cet émoi planétaire laisse songeur. Le talent, réel ou supposé, de Michael Jackson n’est pas en cause, pas plus que ses capacités de chanteur (et surtout de danseur). Ce qui est en cause, c’est le traitement de l’information par les médias. Car le fait est là : aucun événement dans le monde n’a reçu une telle « couverture » médiatique depuis les attentats du 11 septembre 2001. Aucun. Si elles se produisaient demain, la mort d’Obama, celle de Poutine, celle du Pape, feraient dix fois moins de bruit. Beaucoup de journalistes professionnels en conviennent d’ailleurs : comment serait-il même techniquement possible de donner plus de rentissement à quoi que ce soit ? D’où la question : la mort de Michael Jackson est-elle vraiment ce qui s’est passé de plus important dans le monde depuis dix ans ?

Les commentaires des « fans » les plus hystériques donnent eux aussi à réfléchir. Depuis la Californie, les télévisions les ont fait se succéder devant la caméra pour rivaliser d’affirmations délirantes : « Le plus grand chanteur de tous les temps », « L’homme le plus important depuis Jésus-Christ », « C’est la mort d’un génie », « Il faudra des années pour surmonter ce deuil », etc. Pour les funérailles de « Bambi », près d’un demi-milliard de demandes de tickets ont été enregistrées dans le monde. Les enchères sur e-Bay sont montées à 100 000 dollars pour un ticket. Aux Etats-Unis, où l’hystérie semble être une composante de la vie sociale, on compte déjà plusieurs dizaines de suicides. La planète vacille. Naissance d’une nouvelle religion !

Ce n’est certes pas d’hier que des foules immenses sont prêtes à traverser le monde pour assister à un grand événement sportif ou musical, alors que les partis politiques, les syndicats et les Eglises ne touchent plus grand monde – ce qui signifie aussi quelque chose. Mais là, en matière de démesure, toutes les frontières ont apparemment été franchies.

La distraction, c’est cela. La distraction au sens pascalien : ce qui distrait en détournant du reste. Ce qui fait tout disparaître sous l’agitation des paillettes, du bruit, des lumières multicolores et des clips. Le « diversity management » que seuls de pervers blasphémateurs peuvent vouloir troubler.

En septembre 1995, 500 hommes politiques et dirigeants économiques de premier plan s’étaient réunis à San Francisco sous l’égide de la Fondation Gorbatchev pour confronter leurs vues sur le monde futur. La plupart tombèrent d’accord pour affirmer que les sociétés occidentales étaient en passe de devenir ingérables et qu’il fallait trouver un moyen de maintenir par des procédés nouveaux leur sujétion à la domination du Capital. La solution retenue fut celle proposée par Zbigniew Brzezinski sous le nom de « tittytainment ». Par ce terme plaisant, il fallait entendre un « cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète ».

« We are the world! », chantait Michael Jackson. Quel monde ? Le monde du tittytainment. Un monde sans issue de secours. Soyons franc : on ne se sent pas tellement heureux d’habiter un monde où désormais rien, strictement rien, ne compte plus que la mort d’un roi de la pop music.

Alain de Benoist

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