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O.N.G. - Extrême-orient(é)
5 juin 2013

Hollywood, cinéma et idéologie

9782351220382FS

De « Tarzan à Hollywood » aux « Peaux-Rouges, Noirs, Viets, Arabes, aliens et autres mutants », en passant par « Le D-Day mis en scène par Hollywwod », ou les incontournables « Rocky et Rambo », une réalité se dessine : « En plus de promouvoir un certain mode de vie, les films made in Hollywood imposent aussi et surtout une manière de penser. Car l’idéologie américaine est définitivement inscrite dans les formes et dans les structures mêmes du cinéma hollywodien. » A travers des exemples concrets, dans un style qui allie efficacité et humour, ce livre dévoile les complicités du vieux couple cinéma-idéologie, auquel Hollywood s’applique régulièrement à donner une nouvelle jeunesse.

Glorification de l’individualisme

Tous les films hollywoodiens mettent en scène un premier rôle (parfois deux, un masculin et un féminin), des seconds rôles et des rôles de moindres importances. De la sorte ils imposent, d’une certaine manière, une hiérarchie parmi les personnages et, en dernière instance, parmi les Hommes. Notons que les prix d’interprétation (les Oscars notamment) reprennent cette même classification. Aussi les films hollywoodiens fonctionnent-il sur un modèle hiérarchisé et individualiste. Ce qui n’était pas le cas des premiers films soviétiques d’Eisenstein, par exemple, qui inventa la figure de la « masse-héros » (les masses laborieuses étaient « le » héros de l’histoire). Dans le cinéma hollywoodien cette vision individualiste est renforcée par le phénomène du star system. La vedette, reconnue comme telle, tient le premier rôle, son nom figure en ouverture et en lettres capitales au générique, elle a le monopole du gros plan et c’est elle qui oriente la perspective narrative, faisant survenir les événements, motivant et justifiant dans le même temps les changements de plans. C’est à elle que le spectateur est convié à s’identifier par un subtil jeu égocentrique de mise en scène des regards (regard de la caméra, regard du spectateur et regard du personnage) . Le second rôle ne sera lui par conséquent qu’un faire-valoir, objet, adjuvant ou opposant, destiné à réaliser ce complexe processus de projection-identification. Les films hollywoodiens imposent en ce sens une hiérarchie des personnages, hiérarchie donnée comme modèle au spectateur et, insidieusement, à la société (voir pour exemple le type de relation homme/femme développé dans Fenêtre sur cour).

Par ailleurs, beaucoup de récits hollywoodiens, et ce n’est bien sûr pas un hasard, sont construits sur le modèle du success story : un individu – en général un quidam parti de rien ou face à une difficulté importante – surmonte un à un tous les obstacles qui entravent son ascension sociale, professionnelle ou autre et, parce qu’il fait montre de vertus (il est d’ordinaire courageux, loyal, volontaire) parvient à atteindre son but (l’amour, la réussite, le succès). Cette conception idéologique, « éminemment favorable à l’éthique capitaliste » nous dit Hennebelle, est inscrite dans les fondements même de l’ american dream : toute personne, si elle s’en donne les moyens, peut accéder au bonheur et à la réussite ; tout le monde a les mêmes chances au départ… C’est le mythe du self-made-man si cher à la nation américaine. Cette conception darwiniste de la réussite personnelle, fondée sur la valeur physique et morale de l’individu, permet du même coup de justifier les inégalités présentes au sein de la société : puisque le héros parvient à ses fins (grâce à son courage, à sa valeur morale), celui qui ne réussit pas est le seul responsable de son échec.

Manichéisme, simplification et désinformation

La simplification à outrance, la naïveté et l’invraisemblance des situations décrites, le manque de profondeur psychologique de la plupart des personnages, « l’inadéquation entre les sujets traités et la problématique du peuple américain », tout ceci tendrait, selon Hennebelle, à désinformer le spectateur et à maintenir une sorte de statu quo, dans l’intérêt de la classe dominante. L’auteur parle dans ce cas « d’ambiguïté idéologique » (les problèmes sociaux et politiques sont posés de manière erronée et incomplète), de « falsification historique » (les luttes sociales sont réduites à des rivalités interindividuelles par gommage des données économiques, sociales et politiques) et rappelle que la résolution des intrigues hollywoodiennes ne repose jamais sur une analyse politique sérieuse ou pertinente, mais sur des notions de Bien et de Mal. Notons que cette désinformation se vérifie aussi au sujet des films qualifiés de soi-disant « progressistes » : du fait qu’ils ne s’attaquent pas vraiment aux problèmes ni à leurs sources réelles, ceux-ci tendent invariablement à dénaturer les luttes sociales et tombent le plus souvent dans la dénonciation superficielle sans jamais mettre en accusation les vraies causes ni les vrais coupables. Un bouc émissaire sera par exemple montré du doigt pour répondre du racisme américain comme c’est le cas dans Crossfire (Feux Croisés d’Edward Dmytryck, 1947) ou dans Edge of the City (L’Homme qui tua la Peur de Martin Ritt, 1957) et dans tant d’autres films timidement contestataires. Le « vilain » sera alors puni et tout pourra rentrer dans l’ordre, comme s’il faisait figure d’exception, comme si le problème pouvait se résoudre ainsi.

Eurocentrisme, phallocentrisme et négation de l’Autre

De film en film le cinéma hollywoodien a construit un modèle-type de héros, instituant ainsi au fil du temps une norme pour longtemps indépassable. Jusqu’il y a encore peu en effet (disons jusqu’aux années 70), le personnage principal d’un film hollywoodien était pour ainsi dire toujours de sexe masculin, blanc, hétérosexuel voire protestant. Tous les autres personnages ne répondant pas à cette norme étaient invariablement relégués à l’arrière-plan, dans des rôles subalternes souvent dégradants, à moins qu’ils ne fussent tout simplement absents. La femme, « fille de joie ou mère aimante », nous dit Hennebelle, demeurait « le faire-valoir du mâle, sa perdition ou son refuge ». Les Noirs, les Indiens, les Latinos ou les Asiatiques étaient toujours soit rejetés en hors-champ, soit présentés comme de bons sauvages ou des êtres exotiques, intégrés et dociles au mieux, au pire comme des êtres fourbes, cruels et dangereux. De même que les rôles d’homosexuels oscillaient inlassablement entre maniaques pervers et marginaux victimes. Les exemples abondent en la matière dans le cinéma classique, des Nègres violents de Birth of a Nation (Naissance d’une Nation, Griffith, 1915) aux meutes hurlantes et sanguinaires de Stagecoach (La Chevauchée Fantastique, Ford, 1939), du Japonais sadique de Forfaiture (DeMille, 1915) aux assassins de Rope (La Corde, Hitchcock, 1948), sans oublier la galerie de femmes fatales, d’épouses envahissantes et de potiches stupides dont est (sur)peuplé le cinéma hollywoodien (chez Ford, Hawks, Hitchcock, etc.). Tel fut le sort de l’Autre hollywoodien pendant plus d’un demi-siècle. Mais aujourd’hui les choses ont-elles tant changé ? Eddie Murphy, Jackie Chan, les Indiens de Danse avec les Loups ou les personnages féminins ou gays de la plupart des productions hollywoodiennes ont-ils réellement un statut beaucoup plus enviable que par le passé ?

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