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O.N.G. - Extrême-orient(é)
7 novembre 2012

Legio Patria Nostra

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Le regard franc, la barbe fournie et le port altier de ce pionnier de la Légion étrangère expriment, à eux seuls, l’esprit légionnaire. Armé d’une hache, équipé de gants à crispins et d’un tablier, ce soldat appartient à une unité remontant aux sapeurs de la Grande Armée et qui n’existe plus qu’au sein de la Légion, où elle a été érigée en tradition en 1946. Autre symbole de distinction, le képi blanc, hérité des troupes d’Afrique, doit sa couleur aux attaques du soleil et aux lessives qui finirent par délaver le tissu kaki des anciennes coiffes des légionnaires. Objet de fierté, il fut arboré pour la première fois en 1939, sur les Champs-Elysées, lors du traditionnel défilé du 14 Juillet, et adopté officiellement en 1959.

Corps d’élite à nul autre pareil, la Légion étrangère a été fondée en 1831. Dans une société aujourd’hui délitée, sans repères ni discipline, elle incarne, imperturbablement, l’honneur et la fidélité. Telle est d’ailleurs sa devise : « Honneur et Fidélité ». Il n’en est pas de plus belle. Elle continue de rassembler au-delà des frontières. Venus des cinq continents, les volontaires qui la rejoignent trouvent en elle leur véritable patrie : « Legio patria nostra », telle est son autre devise. La Légion se prépare à célébrer, l’an prochain, le 150e anniversaire de Camerone, symbole du sacrifice suprême, la bataille fondatrice de son mythe. Le Spectacle du Monde a choisi cette occasion pour lui rendre hommage.

Dans la cour mythique et légendaire des Invalides, une section de parachutistes coiffés de képis blancs défile au rythme du chant de marche du 2e REP. « Nous sommes les hommes des troupes d’assaut, soldats de la vieille Légion, demain brandissant nos drapeaux, en vainqueurs nous défilerons… » Auprès de détachements des trois armées, ils rendent les honneurs à un général d’armée au cheveu argent et à la poitrine couverte de décorations qui vient de déposer une gerbe en hommage aux combattants tués et blessés dans les opérations extérieures. Une gerbe d’épis de blé fraîchement fauchés. «Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés » (Charles Péguy). A la Légion étrangère, tout est symbole.

Ce matin-là, le lundi 16 juillet dernier, le général Bruno Dary, entré à la Légion comme sous-lieutenant saint-cyrien à vingt et un ans, disait, le coeur serré, son « adieu aux armes ». Quarante ans de vie militaire. Il venait de servir cinq années durant comme gouverneur militaire de Paris, mais il avait gardé, au fond de lui, son béret vert de légionnaire parachutiste, d’ancien chef de corps du 2e REP, celui avec lequel il avait sauté sur Kolwezi en 1978, lorsqu’il avait perdu, frappé par une rafale ennemie, son adjoint, le sergent-chef Norbert Daniel, qu’il n’avait jamais oublié.

« J’ai aimé la Légion étrangère et ses hommes, devait-il dire aux jeunes, aux anciens, aux amis réunis autour de lui à cette occasion : j’ai trouvé parmi eux les mêmes vertus militaires que partout ailleurs, mais sans doute poussées à leur plus haut niveau, parfois même de manière excessive : la générosité, l’ardeur, le goût de l’aventure, la confiance, la fidélité au chef, la pudeur et le mystère aussi, l’attachement à la France, leur pays d’accueil. » Il ajoutait : « Lorsque l’on a l’honneur de commander des soldats de cette trempe, on a un impérieux devoir d’excellence et d’exigence personnelle. »

Voilà pourquoi la Légion étrangère est, au-delà de tout, une légende française. Bien des étrangers sont tombés au service de la France, sous la monarchie et sous l’Empire. Mais depuis sa création, en 1831, la Légion étrangère a su incarner les vertus militaires, « même de manière excessive », en les poussant jusqu’à l’incandescence. Au printemps prochain, le 30 avril 2013, elle célébrera le cent cinquantième anniversaire de la bataille de Camerone, au Mexique. La bataille fondatrice. Car il y a tout dans Camerone, l’expédition lointaine, l’héroïsme du combat, le sacrifice des volontaires étrangers au service de la France. Camerone est devenue la fête de la Légion. Une tradition qui remonte au début du siècle dernier. Le 1er régiment étranger (à l’époque il y en avait deux) avait fait de Sidi Bel Abbes, au sud d’Oran, sa « cité », sur cette terre algérienne pour la conquête de laquelle il avait été constitué par le ministre de la Guerre de Louis-Philippe. En 1906, son drapeau fut décoré de la Légion d’honneur. L’annonce de cette décoration fit le tour du monde. En l’apprenant dans son poste isolé du Tonkin, où la Légion se bat aussi depuis près de vingt-cinq ans, un lieutenant qui commande une compagnie de légionnaires décide d’honorer à son tour la Légion d’honneur de Sidi Bel Abbes en organisant une cérémonie, le 30 avril, date anniversaire de la fameuse bataille du Mexique. Cette initiative est vite connue et elle sera reprise partout où se trouvera la Légion. Elle s’est transmise de Sidi Bel Abbes à Aubagne, au pied du Garlaban, en pleine Provence, où s’est transporté, en 1962, le quartier général de la Légion.

Camerone est le symbole du sacrifice. Les hommes qui, venus des cinq continents, s’engagent dans la Légion étrangère lui donnent tout ce qu’ils ont. Ils lui sacrifient leur passé ; ils lui offrent leur vie. «Non, rien de rien, je ne regrette rien », chantaient les légionnaires parachutistes qui avaient suivi comme un seul homme, sans se poser de questions, les chefs qui les avaient entraînés dans le putsch d’avril 1961 à Alger : « C’est payé, balayé, oublié, je me fous du passé. »

Première devise de ces hommes : « Legio patria nostra », la Légion seule et unique patrie. Elle offre tout : le salaire de la gloire et celui de la peine, de la grandeur et des servitudes. L’autre devise, c’est « More majorum » : emboîter le pas aux anciens, être aussi exemplaires qu’ils l’ont été. Fidélité aux traditions. Et justement, la troisième devise qui couronne les premières dit : « Honneur et Fidélité ». Non pas «Honneur et Patrie » comme sur les drapeaux des régiments de l’armée française – mais « Fidélité », au chef, à la Légion, au pays que l’on sert. Jusqu’au bout. C’est cela que, chaque année, raconte Camerone. Dans un cérémonial qui n’est rien d’autre qu’une liturgie. A Aubagne, la cérémonie se déroule au centre de la place d’armes, sur ce que les légionnaires appellent la « voie sacrée », bordée par des rangs de rosiers, qui conduit au monument aux morts, où se dressent le globe et ses soldats de bronze, en souvenir des trente-cinq mille tués de la Légion depuis la conquête de l’Algérie jusqu’aux opérations d’Afghanistan. Derrière ce monument, une lourde porte s’ouvre sur la crypte où l’on se recueille devant les noms des officiers tombés au feu. Auprès de la crypte, le musée, où une ouverture a été spécialement aménagée pour apercevoir, de l’intérieur, le monument aux morts.

Entraînés par la musique de la Légion, les pionniers sont les premiers à emprunter, de leur pas lent, la « voie sacrée ». Barbus, coiffés et gantés de blanc, hache noire à l’épaule droite, le tablier de cuir de buffle orange leur barrant le buste, ils constituent la dernière unité de ce type de l’armée française. Ils sont les héritiers des sapeurs de la Grande Armée. Leurs colonnes encadrent les grands soldats à l’honneur ce jour-là, dont le premier, qui ne peut être qu’un légionnaire, porte le tabernacle de verre et de bois ouvragé dans lequel est enfermée la main articulée du capitaine Danjou, ultime relique, quasi sacrée elle aussi, du commandant de compagnie mort à Camerone.

Bientôt, la procession des pionniers, du porteur de la main et de ses frères d’armes, atteint le monument aux morts. Autour de la place d’armes, les compagnies figées au garde à vous, les milliers d’invités, les autorités, attendent la « consécration » de la Légion. Une lecture d’abord, celle de l’ordre du jour, par le ministre de la Défense. Et puis, le récit héroïque. Képi blanc et épaulettes rouges, un jeune officier rappelle au micro, par coeur, d’une voix forte aux accents étrangers, les étapes de la bataille comme si c’étaient les stations d’un chemin de croix. L’expédition décidée par l’empereur Napoléon III, le débarquement à Vera Cruz, la 3e compagnie qui doit se porter au secours d’un convoi, le capitaine Danjou, ses deux sous-lieutenants, moins de soixante hommes qui font face à deux mille Mexicains. On écoute venir l’aube, le jour, les ténèbres. Silence de mort. Puis, à nouveau, la musique et les honneurs. Après la légende héroïque, les chefs appellent les soldats à l’honneur et leur remettent leurs médailles ou leur décret de naturalisation. Français par le mérite et le sang versé. Les voici dans leur histoire et leur vérité.

Le Spectacle du monde.

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