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O.N.G. - Extrême-orient(é)
30 décembre 2008

Les Indochinois en France (1939 - 1948)

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De fin 1939 à juin 1940, les travailleurs indochinois furent principalement affectés aux cartoucheries et aux poudreries (1 797 à la poudrerie de Bourges, 1 798 à celle d'Angoulême, 1 634 à celle de Bergerac, 2 327 à celle de Bordeaux, 1 490 à celle de Sorgues, 1 332 à celle de Toulouse...). Dans les usines, les requis étaient soumis à la discipline du travail à la chaîne et du travail posté. La nature même du travail répétitif ne nécessitait pas une formation technique, les travailleurs s'y adaptèrent rapidement. La défaite de 1940 entraîna une nouvelle affectation de ces requis. On peut distinguer ici la "période sylvestre" (septembre 1941-novembre 1942) où les requis furent employés dans la coupe de bois et dans les travaux agricoles, et la "période industrielle" (novembre 1942-1944) où ils furent à nouveau affectés dans les usines.

Ce découpage correspond à la césure de fin 1942  :  le tournant de la guerre. La "période sylvestre" était celle où la main-d'oeuvre indochinoise contribuait encore à l'économie française contrairement à la "période industrielle" qui marqua, avec l'invasion de la zone libre par l'armée allemande, l'utilisation de cette main-d'œuvre au service de l'effort de guerre. Dès lors, plus de 6 000 Indochinois (soit 43% de l'effectif global) travaillèrent directement ou indirectement pour les troupes allemandes d'occupation sans compter les tirailleurs indochinois employés dans l'organisation Todt, notamment dans la construction du mur de l'Atlantique. On peut douter que les requis aient ressenti cette césure. Certes, ils étaient au courant de la défaite mais leur encadrement n'avait pas varié. Pour la plupart cette guerre n'était pas la leur et la seule chose pour laquelle ils militaient était leur rapatriement au pays.

L'administration et les employeurs furent satisfaits du résultat fourni par la main-d'oeuvre indochinoise qualifiée d'"habile" et douée d'une grande capacité d'adaptation. Dans les faits, la mise au travail des quelque 20 000 Indochinois requis prit l'allure de l'exploitation d'une main-d'œuvre docile et vulnérable - car isolée et livrée à elle-même -, cela étant rendu possible par la structure de l'industrie, organisée scientifiquement. Cette utilisation d'une main-d'oeuvre massive et non qualifiée était associée à l'idée d'un rendement collectif des travailleurs confrontés aux tâches répétitives mais aussi dangereuses comme dans la manipulation des poudres. (...) Ce qui ressort des témoignages, c'est que les travailleurs ont surtout souffert des cadences de travail qui leur étaient imposées. Le nombre des décès fut le plus élevé en 1943 et 1944 au moment où on exigeait d'eux un plus haut rendement  :  de 2,5% en 1942, le taux de mortalité passa à 18% en 1943 et 17,5% en 1944. C'est également au cours de ces années que les difficultés matérielles atteignirent leur paroxysme.

Aux souffrances physiques, il faut ajouter une dégradation de la situation morale. Le prolongement du séjour avivait les plaies du déracinement. La réponse de Vichy au désespoir des "fils protégés de la France" prit la forme d'une politique d'assistance sociale et morale fondée sur l'exaltation du folklore traditionnel et les pratiques sportives. Au moyen de la propagande radiophonique (émissions coloniales) et par la presse écrite (Công Binh), l'objectif était de créer un esprit de corps chez les coloniaux. Au lendemain de la Libération, l'administration conserva les principaux traits de ce dispositif d'encadrement moral et de contrôle social pour préparer un retour et une réinsertion en bon ordre. Les résultats n'eurent qu'un effet douteux si l'on en juge par les réactions des requis qui refusèrent peu à peu de jouer le jeu pour prendre en charge leur propre "animation" culturelle hors de la tutelle constante de l'administration coloniale qui les soumettait à des rapports d'autorité et d'infantilisation. Parqués dans des camps, les requis vivaient de fait une situation d'exclusion et de particularisme qui empêchait tout mouvement d'échange et d'insertion. De fait, les relations avec la population civile furent difficiles. D'une manière générale, les réactions françaises étaient nourries de préjugés entretenus par l'encadrement et par la presse.

Par Liêm Khé TRAN-NU

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