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O.N.G. - Extrême-orient(é)
2 décembre 2008

Noël en Indochine

noel

Duc Hoa Noël 1945

Ici, en ce jour de Noël, il est 9 h du matin. Le soleil est déjà chaud. Je pense à vous qui êtes à la messe de minuit et qui avez sans doute froid. C'est un Noël bien spécial que les Noël sous les tropiques et je regrette bien un peu le Noël avec la neige et le froid piquant. Malgré tout, nous avons voulu tout de même faire un Noël qui rappelle un peu le Noël de France. A minuit juste, nous avons eu la messe de minuit, assistance d'environ 50 hommes, ce qui n'est pas mal pour le petit nombre d'hommes de ce petit poste de Duc Hoa en pleine brousse à 30 kms au Nord de Saïgon.

Arrivé depuis 2 ou 3 jours avec mon ambulance dans ce petit bled où se trouve une petite unité du 21 ème R.I.C., j'ai aidé un peu le père Bianchetti, un ancien camarade de séminaire à organiser la Messe que j'ai commentée. Tous ont bien prié, malgré les petites diversions: d'abord je n'ai pas pu retrouver celui qui devait chanter le " minuit chrétien ", ensuite la fusillade a commencé. Presque tous les soirs le Viet Minh vient lancer des grenades et tirer quelques coups de mitrailleurs. Cela a duré une bonne partie de la messe qui était dite au P.C. Ce contre temps a fait que nous n'avons même pas pu chanter " il est né le divin enfant " à la fin de la messe.

Le réveillon, étant donné les évènements, avait été interdit. Nous nous sommes rattrapés au repas avant la messe. Le 24, je suis allé à Saïgon, Cholon et Giadinh avec mon ambulance et quelques camarades. Nous avons fait à peu près 120 kms. En route nous avons eu l'occasion de faire une bonne provision de bananes, ananas, noix de coco. Les copains ici, ont trouvé 2 canards et 1 poulet avec des œufs. Avec le chocolat de nos rations nous avons fait une bonne crème au chocolat, tout ça arrosé d'eau glacée car le ravitaillement nous amène parfois de la glace. Pour aujourd'hui nous recommençons. Je vois nos petits boys annamites en train de plumer encore 2 canards. Ce n'est pas trop pour 8 que nous sommes.

Je suis ici à Duc Hoa depuis 4 jours, seul de ma compagnie qui est à Mytho. Il n'y a qu'un inconvénient, c'est qu'ici, je ne reçois pas mes lettres. Le paysage n'a plus du tout l'aspect de Saïgon ou de Giadhin. C'est l'immense plaine des rizières où les japonais sont en train de faire la moisson. Ils font des espèces de mâches comme chez nous pour l'avoine. Les forêts sont assez rares. Il y a des bananiers, des palmiers et des bambous. A part ça, la rizière boueuse où on enfonce jusqu'au ventre dès qu'on s'y attarde. Ici, il y a de l'eau partout, bien plus qu'à... et la moindre flaque d'eau est remplie de poissons et gros poissons. C'est une des richesses de la Cochinchine, en période de pluie. Il y en a même sur les routes, dans les cours des maisons.

Les routes sont assez nombreuses et en général droites et assez étroites. Elles seraient bonnes si le Viet Minh ne les sabotait pas. Tous les ponts sont coupés. En certains endroits la route est creusée. Le génie fait semblant de rétablir les ponts. il ne faut pas être trop peureux pour les traverser. Moi je mets en première et je mets aussi le crabotage ( mécanisme qui fait que les 4 roues sont motrices ) et encore avec ça c'est juste; A la fin de la campagne, je crois que je conduirai pas trop mal.

Le premier jour où je suis venu, en route, nous avons encore vu 2 cadavres d'annamites. l'un à moitié nu plongé dans une rizière, l'autre au bord d'une rivière à Hoc Man. nous avons pris 3 indigènes pour le faire enterrer. ca cocottait, la peau se décollait déjà. Vous comprenez ce que ça peut être en ce pays où l'on ne peut même pas garder un canard tué plus de 5 à 6 heures et encore dans des feuilles de bananiers.

Le long de la route, j'ai vu des centaines de paillotes indigènes incendiées. il ne restait plus qu'un emplacement noir et quelques vases en terre. C'est le fait des types de la 2 ème D.B. Ils ont une drôle de façon de coloniser. J'espère qu'ils vont se faire secouer. Ce sont des gars qui ne peuvent pas voir des paysans travailler dans les champs sans menacer de leur envoyer une giclée de mitrailleuses. C'est dégoûtant. Il y en a qui ne comprennent rien au rôle qu'ils ont à remplir ici. Heureusement que d'autres réparent leurs bêtises. Ainsi depuis que nous sommes dans ce bled, nous soignons tous les gens. A l'infirmerie tous les jours, il y a une cinquantaine d'hommes, femmes, enfants avec des plaies d'origine tuberculeuse ou syphilitique terribles. Il faut voir ça. Les gosses s'en vont tout rouges ou bleus du désinfectant qu'on leur donne. Ils s'en vont tout heureux evc leurs bandes; Ca ne sert peut être pas à grand chose, il faudrait une motopompe et asperger tous les villages, toutes les paillotes de désinfectant. Tous ces pauvres gens ont une frousse du Viet Minh. Ils ont peur que nous partions.

Il y a quelques temps un de nos bataillons a délivré 300 hommes ( soeurs ) annamites prisonniers du Viet Minh. Le premier aumônier qui les vit fut le bienvenu: "Oh mon père, il y a 3 mois que nous ne nous sommes pas confessées, nous avons beaucoup de péchés!". C'est rigolo, ces bonnes soeurs. Je pense que le Père a arrangé ça à la manière militaire.

Vous voyez que nous ne manquons pas de divertissements. Hier je faisais un tour sur le marché quand je vis une vieille en train de mourir sur la place. A côté son vieux pleurait, je m'approche et aussitôt je reviens chercher le lieutenant médecin. Nous décidons d'aller lui faire une piqûre. Ca ne pouvait pas lui faire grand chose à la pauvre, mais pour nous, devant tous les gens qui regardaient quel prestige!

Je crois que nous déménagerons de nouveau après demain pour monter plus haut. Notre occupation s'étend de plus en plus. Maintenant notre matériel arrive rapidement. Nous ne sommes ici que pour les opérations. une partie de la 3 ème D.I. qui est chargé de l'occupation et de la relève est déjà prête à Marseille. Nous ne resterons guère plus d'un an ici. Je ne voudrais pas faire moins. Je trouve qu'il n'y a rien de tel qu'une vie de soldat pour connaître le pays et le peuple d'Indochine. Beaucoup de français de Saïgon ne connaissent rien de l'Indochine...

Jean Baud - Un Getois en Indochine

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