Interview Tai Luc
ONG : Comment
as-tu commencé un projet solo ?
Tai Luc : Ben
écoute je ne sais pas si c'est un vrai projet solo. Pas plus
tard que la semaine dernière on a encore fait une répétition
avec mes camarades que tu connais : Cambouis à la batterie,
Rico à la basse, Muso au saxophone et celui qui te parle à
la guitare et au micro. On a répété des morceaux
de disques qu'on dit "source", ainsi que deux reprises de
l'album solo : I saw the light et I don't care de Hank Williams. A
l'époque ou je les ai enregistrées je voulais des
chansons UN peu fin du monde comme ça ou alors un peu
illuminées.
C'est un disque solo en ce sens que je fais tout
dessus. Une des particularités c'est qu'il n'y ait pas de
batterie ni de basse. J'ai fait appel à Spirou pour
l'enregistrement. Non pas parce qu'il était l'ancien
guitariste de Molodoï mais parce qu'on a partagé une
partie de la biographie ensemble c'était notre "sound
man" à Phnom Penh. Comme c'est un"jeune homme"
qui n'est pas déméritant, il est devenu le "légionnaire
du son". Dans les bruitages du CD il y a des clefs, mes
brodequins, ma bague tapant sur la table, deux symbales chinoise qui
appartenaient à mon père qu'il utilisait lorsqu'il
participait au Têt (nouvel an vietnamien). Une autre
particularité, c'est qu'il n'y ait pas de compos à par
une "tu voulais (grand-père)".
Certains ne se
retrouvent pas dedans car il n'y a pas de reprises oï. Mais pour
moi c'est comme les disques de LSD, ce n'est pas forcement facile à
saisir. Je voulais montrer ce que moi j'écoutais au lycée
quand la oï et le punk n'existaient pas encore. C'est la raison
pour laquelle je reprends du Lou Reed et du John Calei (Velvet
Underground) pour rappeler la filiation de Velvet avec les Sham 69
(John Calei était leur producteur). Tout est lié de
1966 à 1977 et de 1977 à maintenant. J'espère
que ceux qui écoutent l'album feront la démarche
d'écouter aussi du Lou Reed ou les Velvet.
ONG : Sur ton album solo il y a donc cette chanson qui parle de ton grand-père, peux-tu nous expliquer qui il était ?
TL : Mon
grand père est mort en 1970, il aurait sûrement
vachement apprécié de voir que je suis interviewé
à Pékin. Entre guillemets c'est un pays communiste.
Tout à l'heure on est passé devant, c'était
encore écrit en gros (中华人民共和国万岁 ! 世界人大团结万岁 !) sur la porte
d'entrée de la Cité Interdite mais à moins
d'être aveugle, il est impossible de ne pas voir que c'est un
pays qui appartient à l'Ecole Nationale d'Administration (ENA)
qu'est devenu ce si glorieux Parti Communiste Chinois.
Ce grand-père,
français en l'occurrence, m'a fait me tourner vers la Chine,
mais c'est tout de même plus la vie sentimentale et le hasard
des voyages qui m'ont fait m'y rendre. Quand j'étais gamin il
y avait toujours sur la table des exemplaires de la Chine nouvelle.
Il lisait aussi le journal de l'organe d'un célèbre
parti (l'Huma) et moi je lisais Pif le chien puis Pif Gadget. Bien
que communiste, la plupart des grands dessinateurs comme Hugo Pratt y
ont fait leurs classes. Ce qui est paradoxal, c'est que je dirais "Merci" à la presse communiste d'avoir produit de si
bonnes bandes dessinées.
ONG : Ah ? cette chanson est sur ton grand père Français, surprenant !
TL : Du coté vietnamien ce n'est pas du tout la même chose. Eux ont quitté le Vietnam en 1975, preuve qu'ils n'étaient des fans du Parti Communiste. Par piété filiale, j'ai toujours trouvé que mes deux familles étaient faites des gens formidables. Du coté français j'ai toujours admiré la manière dont mon grand père portait le communisme municipal en France à bout de bras ...mais ce genre de personnes n'existe plus.Dans le reste du monde, je ne suis pas sûr que ce soit une grande perte si le communisme n'existe plus.
ONG : Tu as été faire énormément de séances de dédicaces, quel a été l'accueil du public ?
TL : Je pense que les gens se mettent maintenant à écouter Velvet Underground. J'imagine bien les fans de Last Resort et LSD écoutant le Velvet ou se forçant à écouter de la musique Country Western, c'est assez fabuleux. C'est un peu comme à l'époque où on a enregistré l'album Banzaï avec LSD, ce genre de chansonS a poussé pas mal de gens à acheter des billets d'avions et à partir dans le golf de Siam.
ONG : Les membres de LSD étaient-ils déjà des fans de l'Asie avant que tu commences à écrire les textes traitant de ce sujet ?
TL : Pour
parler de mon camarade bassiste, lui est marié à l'Asie
donc il a adhéré totalement au concept. Pour tous, le
fait qu'on ait réussi, suite à diverses aventures, à
jouer au Cambodge au Vietnam au Laos et une fois au stade de Canton
en Chine devant 40000 personnes pour CCTV(et 3000 policiers), ça
leur a tous plu. A ce sujet, cela à montré que l'on
peut jouer dans un pays totalitaire devant autant de monde et être
invité à la télé alors que dans ce si
petit pays qu'est la France c'est la croix et la bannière pour
être sur une télé qui est dite "démocratique", ne serait-ce que pour un spot
d'information ! Il faudrait que la France soit une province Chinoise
(rires) ! C'était une prouesse de jouer a Canton pour la
télévision d'État, en plus sachant que vous avez
des textes qui dénoncent le communisme ou parlant des
problèmes de la Chine. J'ai vraiment apprécié ce
passage à Canton.
Ca a été organisé par
un ami écrivain chinois, qui lui même était interdit de
publication en Chine depuis dix ans et ce "jeune homme"
voulait nous faire jouer là-bas. Je n'y croyais pas trop et un
jour il m'a mis des billets d'avion sous le nez. Quand il a commencé
à parler de Canton puis de Télévision j'ai
commencé à m'affoler. Ce qu'on allait jouer, on a eu un
mal fou à trouver, puis on s'est mis d'accord pour Raya Fan
Club acclimaté avec des sonorités taïwanaises qui
ne posaient pas problèmes ! Et ça a donné un
truc plutôt marrant qui a été vu 3 jours sur
toutes les chaînes jusqu'à ce qu'un officiel remarque
que je dis "Indochine" et on se fasse accusait fourbement
de colonialisme. Mais le mal était fait tout le monde l'avait
vu. On devait aussi jouer bénévolement ... mais à
la fin on a reçu un sac de liasses de billets! Surpris on nous
a dit que c'était "pour les frais"... et ça
correspondait à deux fois un cachet en France par personne.
Donc voyant tout ça ... je me suis dit que la Chine ca
fonctionne vraiment bien ! La musique alternative vue comme ça
c'est vraiment bien ! (rires).
ONG : Dans la chanson "en Indochine" tu chantes "tu penses toujours à l'Indochine". A partir de quel moment as-tu pris conscience que tes racines étaient aussi bien européennes qu'asiatiques ?
TL : Je
ne revendique pas le statut d'eurasien parce que, chaque fois que je
peux, je dis que le métissage c'est une connerie si c'est un
programme politique. Il y a des gens qui vont te dire que le
métissage c'est bien, et à cela je dirai non ! Le
métissage c'est une affaire sentimentale. C'est des
initiatives d'êtres humains avant tout. Ce ne sont pas des
partis politiques qui doivent te dire ce que tu dois faire. La
générosité ne peut pas se planifier.
Je ne suis
pas conscient de mes origines depuis si longtemps, je dirais à
partir du moment où je suis allé voir mes cousins réfugiés aux Etats-Unis. Avec ceux de mon âge j'allais voir des
concerts de punk rock tandis que les parents perpétuaient
leurs traditions du Vietnam aux USA. Et inversement. J'ai séjourné dans le bâtiment des étudiants étrangers à la fac de Pékin
en 1981 (北京大学), dans les dortoirs on m'avait passé une
guitare et j'ai écrit une chanson qui s'appelle "nostalgique"
qui parle des skins des Halles et des autonomes. C'était ainsi une façon de retrouver mes origines françaises adolescentes.
Parfois il faut être loin pour prendre conscience de ce qu'est
son "identité" (même si le mot est trop fort
pour une réalité si faible). Aussi les paroles de "en
France" je les ai écrites dans le ferry de Kowloon à
Hong Kong. Et plus tard quand tu vois toutes les réactions que
cela suscite, tu ne peux que sourire car tu connais la genèse
du morceau. Pour se sentir un peu français il faut être
à l'étranger.
ONG : Enfin, comment cela se fait-il que vous alliez jouer à Marseille ?
TL : En l'occurrence ce sont deux concerts, un concert à la prison des Baumettes et l'autre à la salle Julien. On va jouer à Marseille à la demande d'un "jeune homme" qui s'appelle Eric que j'ai rencontré il y a quelque temps. Sur le fait de jouer à la prison, j'ai pu dire tout le contraire à une époque ("on n'ira pas jouer devant les taulards parce que nous on est en liberté"), mais comme depuis quelque temps je fréquente pas mal une prison française pour aller rendre visite à quelqu'un que je connais, je me suis dit que ça ne pouvait pas être mauvais de jouer pour des mecs qui ne peuvent pas nous voir dans des conditions normales. Donc autant aller chez eux.
ONG : Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview ! Et bonne continuation à LSD !
Merci à Xavier. L'album de Tai Luc est disponible sur Clandestines (www.clandestines79.fr) et sur www.la-souris-deglinguee.com