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O.N.G. - Extrême-orient(é)
25 avril 2014

L'esprit des choses : L'autel

Sans titre

A l’occasion des fêtes de Pâques, il a été à l’honneur, du moins chez les chrétiens catholiques et orthodoxes. Pourtant s’il est un objet commun à nombre de religions (au sens large du terme), c’est bien lui. On le retrouve dans la plupart des religions de tous les temps et sur tous les continents, de l’Europe à la Chine en passant par les Amériques. L’autel est une réalité protéiforme. Table de bois ou bloc de pierre, il peut aussi être constitué d’une simple surélévation du terrain. L’autel des ancêtres asiatiques, parfois d’une surprenante humilité, paraît bien différent de l’autel baroque italien ou allemand et, au sein même de l’Eglise catholique, les différences, pour ne pas dire les divergences, éclatent aux yeux du moins averti. Est-il forcément religieux? Ce n’est pas si simple. Lorsqu’Octave Auguste fait construire l’« Ara Pacis » (l’Autel de la Paix) à Rome, il n’entend pas honorer une déité quelconque. Le premier empereur romain sait très bien que la paix demeure un idéal plus ou moins abstrait. Quant à l’autel des ancêtres chinois, il n’est pas religieux au sens occidental strict du terme (ce que les jésuites du XVIIe siècle comprendront très vite). Il s’agit simplement d’honorer les aïeux et leur mémoire.

Mais s’il n’est pas proprement religieux, l’autel constitue un signe indubitable du sacré. Le lieu où il est installé cesse d’être un endroit comme les autres (profane): il devient un point de rencontre entre la réalité matérielle, et même quotidienne, et quelque chose de « tout autre » qui se distingue radicalement de ce dont nous faisons l’expérience quotidienne et banale. Il peut s’agir de la divinité, de forces cosmiques, du monde des esprits ou même du mythe fondateur d’une civilisation. Là où il y a l’autel, il y a autre chose que la simple humanité. Il y a aussi autre chose que l’individu isolé. Même écarté du regard par l’iconostase byzantine, l’autel structure une réalité collective. Dans les temples grecs et romains, la statue du dieu est cachée dans la « cella » tandis que l’autel est placé en vue du public venu assister au sacrifice. De même l’autel de nos églises en constitue l’axe essentiel vers lequel les regards sont orientés. D’une certaine façon, c’est l’autel qui fait le peuple des fidèles. Qui dit sacré dit sacrifice (« faire sacré »). Celui qui s’approche de l’autel ne se contente pas d’honorer un simple mobilier rituel, il vient déposer quelque chose de lui-même, offrande ou victime. Des bâtonnets d’encens que l’on brûle devant l’autel des ancêtres aux animaux que l’on égorgeait dans le temple de Salomon, l’autel demeure attaché au sacrifice.

Parfois, ce fut le sacrifice humain comme en témoignent les « cuauhxicalli » aztèques. Car si l’autel détermine un espace sacré autour de lui, c’est qu’il est lui-même le lieu d’un échange, d’une véritable transaction entre l’humanité profane et l’autre monde. C’est sur et par l’autel que le cosmos s’équilibre, que les forces mystérieuses et/ou terrifiantes sont apaisées, mais aussi que la grâce est offerte à l’assemblée, à l’église. A ce point de vue, l’autel chrétien, et plus précisément catholique (il n’y a pas d’autel protestant), représente une sorte d’aboutissement, pour ne pas dire de perfection. Reprenant la thématique du sacrifice archaïque, il la dépasse pour fusionner l’antique pierre sacrificielle et la table du festin, donnant à l’ensemble une richesse spirituelle inconnue jusqu’alors. Mieux encore, en évoquant l’« autel céleste » de Dieu (« sublime altare tuum »), le canon romain de la messe semble nous inviter à considérer que tout autel de pierre n’est finalement qu’une image du seul véritable autel. Nous voilà loin des vieux autels barbares. Pourtant, les autels paraissent aujourd’hui délaissés, sans doute parce le sacré n’a plus guère de sens pour l’homme moderne, du moins plus de sens avouable. Sans doute s’agit-il d’une mutilation car enfin vit-on jamais société constituée sans sacré, et pour tout dire sans autels ?

Minute Hebdo

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