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O.N.G. - Extrême-orient(é)
25 avril 2014

La section Anderson de Pierre Schoendoerffer

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En 1966, l’engagement des États-Unis au Viêtnam était monté en puissance (près de 400 000 hommes sur le théâtre), avec pour objectif l’écrasement de la rébellion communiste au Viêtnam du Sud, le Pentagone comptant sur son aviation de bombardement pour mettre le Nord à genoux. La seconde guerre d’Indochine avait vraiment commencé. Les images que les téléspectateurs pouvaient déjà découvrir étaient certes terribles, et l’on sait quel effet dévastateur elles auraient bientôt sur l’opinion publique américaine. Mais elles ne disaient pas comment les soldats américains, de très jeunes appelés pour la plupart, vivaient cette guerre, eux qu’aucun lien historique, culturel ou personnel n’attachait à un pays mystérieux et inquiétant, situé à des milliers de kilomètres de leur foyer, et c’est bien là toute la différence avec la première guerre d’Indochine. Ce vécu, un seul cinéaste au monde était capable de le comprendre, de le partager et de le traduire en images : Pierre Schoendoerffer.

Auréolé de la gloire que lui avait apportée la 317e Section (1963) où, fort de son propre passé indochinois, il avait exprimé de façon rigoureuse et pudique le drame du corps expéditionnaire français, Schoendoerffer, épaulé par son cameraman Dominique Merlin et son preneur de son Raymond Adam, a accompagné pendant six semaines une section de la 1re division de cavalerie, commandée par le lieutenant Joseph B. Anderson. Soit une grosse trentaine d’hommes, assez représentative de la population américaine : des Blancs de souches très diverses, des Noirs (dont le lieutenant Anderson lui-même), et même un Indien. En réalité, les Français ont fait beaucoup plus qu’accompagner les Américains au combat; ils se sont amalgamés à eux, faisant rapidement oublier qu’ils ne portaient pas de fusil. Le miracle de ce documentaire, c’est d’avoir fait oublier la caméra à ceux qu’elle filmait et, par voie de conséquence, de l’avoir fait oublier aussi aux spectateurs. Réalisé pour le célèbre magazine télévisé Cinq Colonnes à la une, et diffusé le 3 février 1967 sur la première chaîne de l’ORTF, la Section Anderson est un chef-d’oeuvre absolu : près d’un demi-siècle après, il a gardé une faculté d’émotion à laquelle aucun film rétrospectif sur la guerre du Viêtnam, fussent-ils signés Francis Ford Coppola, Michael Cimino ou Stanley Kubrick, n’a pu prétendre. La raison en est que ce film d’hommes est filmé à hauteur d’homme, toujours à l’exacte distance du regard humain. Mais ce n’est pas tout. Schoendoerffer n’a pas seulement évité les pièges du spectacle – et pourtant la Section Anderson est un film où l’on voit des soldats mourir et où un hélicoptère s’écrase sous nos yeux. Il a su donner la juste mesure du temps de la guerre, avec ses phases intenses de combat, ses attentes angoissantes, ses explosions soudaines, mais aussi « avec ses chants ses longs loisirs », comme le chantait Apollinaire. Et au bout, on a une oeuvre que son auteur aurait pu appeler la Condition humaine si le titre n’avait été déjà employé… Car, au fond, de quoi nous parle Schoendoerffer ? De la fraternité, telle que peut la révéler l’expérience initiatique de la peur et du courage, le baptême du feu prenant ici son sens le plus profond. Vingt ans après, Schoendoerffer a pu retrouver aux quatre coins des Etats-Unis une dizaine de survivants de la section, dont le lieutenant Anderson lui-même. Il les a filmés chez eux, puis il les a réunis. Le document qui a résulté de cette rencontre, Réminiscence (1989), est bouleversant.

Michel Marmin (Le spectacle du monde, mars 2014).

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