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O.N.G. - Extrême-orient(é)
18 avril 2014

L'esprit des choses : Le sabre

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On le retrouve encore dans les maisons. Il s’agit souvent d’un souvenir familial, celui d’un aïeul ayant traversé de glorieux moments. Parfois, ce n’est qu’une parure de cheminée, plus ou moins en bon état, achetée chez un antiquaire. Et puis il sert encore, ne serait-ce qu’à décapiter les bouteilles de champagne ou bien sûr lors des cérémonies militaires, comme le défilé du 14-Juillet. Caractérisé essentiellement par sa pointe et son tranchant unique, le sabre est protéiforme. A côté de celui des militaires, on trouve la « cuiller à pot » des corsaires et des flibustiers, et, bien entendu, la machette des explorateurs, toujours disponible chez le coutelier du coin. A la différence de l’épée, désormais apanage des académiciens et des polytechniciens – sans oublier les huissiers du Sénat –, le sabre est resté un objet familier.

Familier? Ce n’est pas si simple. S’il est entré dans nos mœurs depuis quelques siècles, le sabre garde sa part d’ombre qui empêche d’en faire un simple « long couteau ». Il ne peut exciper des quartiers de noblesse reconnus à l’épée, voire au glaive antique. Sur nos rivages occidentaux, il n’a armé nul chevalier, nul héros d’épopée. Roland avait Durandal, Excalibur ornait la main d’Arthur, mais quel sabre fut jamais baptisé? L’arrivée du sabre est tardive. Elle correspond à la période des grandes charges de cavalerie de masse pour lesquelles l’épée semble devenue trop fragile et la lance anachronique. C’est l’arme du choc et des premières guerres modernes, celles où la première ligne est généralement sacrifiée.

D’un maniement moins subtil que celui de l’épée, le sabre est aussi plus meurtrier, voire plus sanglant. Il tranche, là où l’épée perce et balafre. L’épée fut aristocratique, le sabre est révolutionnaire; quant à être démocratique, c’est une autre affaire, surtout s’il s’allie au goupillon. C’est aussi une arme de série. L’épée est personnelle ou du moins fabriquée au profit d’un corps restreint de personnes. Le sabre est fabriqué pour équiper des régiments entiers. C’est une arme industrielle et collective, souvent fruste et remplaçable à volonté. Il n’est même pas réservé aux armes prestigieuses comme la cavalerie puisque les fantassins de la Grande Armée avaient droit au modeste sabre briquet. Surtout, il souffre de ses origines réputées barbares. Avant d’être l’arme du soldat européen, il fut connu sous les espèces du cimeterre et du yatagan, barbares et païens. Il est à l’origine l’apanage de l’envahisseur, un envahisseur dépeint comme fourbe et cruel, exclu des formes « civilisées » de la guerre, qu’il nous vienne du désert arabo-musulman ou des steppes d’Asie.

C’est de l’autre côté du monde qu’il retrouve une noblesse à vrai dire plutôt sombre et même ambiguë. Alors que les chevaliers chrétiens honoraient l’épée, au pays du Soleil levant, les « bushis » médiévaux honorèrent le sabre devenu l’arme privilégiée du guerrier avant de devenir celle du samouraï enserré dans le réseau strict des allégeances féodales. Réalisé selon des techniques métallurgiques les plus sophistiquées, le sabre, sous la double forme du katana (sabre long) et du wakizashi (sabre court) ne quitte plus le samouraï, éventuellement jusqu’au seppuku (appelé improprement hara-kiri chez nous). A vrai dire, il y a dans tout cela une grande part d’idéalisation. Les samouraïs étaient devenus surtout des administrateurs et des fonctionnaires dont les deux sabres, souvent de véritables œuvres d’art, jouaient le même rôle d’apparat que l’épée de cour européenne du XVIIIe siècle. C’est pourtant à ces époques que se développa ce qui allait devenir le kendo, c’est-à-dire la « voie du sabre » dans laquelle il importe d’arriver à l’unité entre l’esprit, le sabre et le corps.

Le sabre quittait son utilisation guerrière pour devenir un élément de perfectionnement personnel, voire spirituel. C’est sans doute ce qui explique la fascination qu’il exerce encore sur nous. On ne sabre rien innocemment, pas même le champagne.

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