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O.N.G. - Extrême-orient(é)
10 janvier 2014

L'esprit des choses : le journal

DAZIBAO-1953

Vous l’avez entre les mains en ce moment même: quelques feuilles de papier réunies simplement, soit par le jeu du pliage, soit par quelques agrafes, à moins que son épaisseur n’implique des procédés de reliure plus sophistiqués. Pourtant, en dépit des différences de format, de présentation ou de périodicité, il s’agit de la même réalité. Mieux: le journal n’est pas forcément fait de papier. Aujourd’hui, il peut concerner tout objet diffusé par radio ou par télévision (maintenant par internet) et qui constitue une chronique des événements du jour, de la semaine ou du mois. Le mot même peut prêter à confusion. Un journal, ce peut être aussi une ancienne unité de surface, celle qu’un homme est susceptible de labourer en une journée. Cela peut également désigner toute mention suivie des faits déroulés pen dant un cycle: c’est le cas du journal de bord d’un bateau. Chez les historiens, il peut s’agir d’une chronique comme le fameux Journal d’un bourgeois de Paris qui nous raconte la capitale dans la première moitié du XVe siècle.

Ce n’est pas encore le journal tel que nous le connaissons, mais, derrière toutes ces acceptions se retrouve une même réalité: le journal est inséparable du temps qui passe, de l’impermanence. Le premier journal, au sens moderne du terme, est paru le 30 mai 1631. Il s’agit de la fameuse « Gazette » de Théophraste Renaudot, médecin ordinaire du roi, philanthrope et inventeur également des petites annonces. Saluons cette première « Gazette »: devenue « Gazette de France », elle paraîtra jusqu’en 1915, un record qui n’est dépassé que par les « Petites Affiches », toujours vivantes, au - tre création de Renaudot. La « Gazette » est un journal au sens plein du terme. On y donne les nouvelles de Paris ainsi que celles de l’étranger. Bien entendu, l’indépendance éditoriale y est une notion inconnue: bénéficiant d’un privilège royal fort utile pour lutter contre la concurrence, Renaudot est lié à Richelieu et au père Joseph (l’éminence grise du cardinal) dont il défend systématiquement la politique. Quant au tirage, il grimpera, du vivant du créateur, jusqu’à… 800 exemplaires! Puis viendront les grandes périodes, à commencer par la Révolution avec ses quelque 1350 titres différents. Beaucoup de ces journaux demeureront éphémères, d’autres causeront la perte de leur créateur (et souvent unique rédacteur).

Le « Père Duchesne » poussera Hébert sous la guillotine de même que Camille Desmoulins devra l’échafaud à son « Vieux Cordelier ». A l’époque, le journalisme est un sport de combat infiniment périlleux: il s’agit de confier sa vie, ou du moins sa liberté (et celles des autres), à quelques feuilles noircies d’une prose que la postérité ne retiendra pas. L’histoire des journaux est en effet une étran - ge histoire. On en retient quelques titres, des signatures prestigieuses, mais les articles, et pour tout dire, l’information, tombent irrémédiablement dans l’oubli dès la parution du numéro suivant. De tous les journaux du XIXe siècle, nous n’avons gardé que les romans de Balzac, Dumas et autres publiés en feuilleton, dans ce que l’on appelait le « rez-de-chaussée » (bas de la première pa ge). Le seul « papier » qui soit resté dans les mémoires est le « J’accuse » de Zola publié en 1898 à l’occasion de l’affaire Dreyfus.

Le journal est éphémère. Ces pages où des jour nalistes ont parfois mis tout leur talent, voire toute leur ardeur, ne vivront souvent qu’un jour avant d’être rabaissées à des usages plus domestiques. Quotidiens de prestige, feuilles de chou militantes ou pièges à publicité, la plupart finiront comme papier d’emballage ou allume-feu. A trop faire corps avec l’actualité, ils en viennent à s’effacer comme elle. A moins qu’ils n’entrent en léthargie dans ces étagères où l’encre pâlit et le papier s’effrite doucement. Curieusement, ce qui est vrai du journal classique l’est un peu moins de ses avatars audiovisuels. Radios et chaînes de télévision peuvent à volonté ressortir les vieilles archives, ces bribes du passé qui se remettent à parler ou à bouger. Encore ne s’agit-il que d’extraits sélectionnés, et non de l’ensemble d’un journal ou d’un bulletin. On a choisi pour nous ce dont il faut se souvenir. Que reste-t-il de nos journaux?  Jean-Michel Diard

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