Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
O.N.G. - Extrême-orient(é)
10 décembre 2013

L’esprit des choses : La roue

Taijitu

La roue est née en même temps que l’écriture, ce qui revient à dire qu’elle est née en même temps que l’Histoire. Sans elle, le progrès demeure impossible et nos machines, même les moins sophistiquées, n’existeraient simplement pas. En somme, elle a permis le progrès, voire l’idée même de progrès. Imaginez un monde sans roue: vous aurez un monde sans véhicules où tout déplacement d’un point à un autre impliquera des efforts aujourd’hui oubliés, sans parler des centaines de machines rigoureusement inimaginables mais dont nous aurions tant de mal à nous passer. Nos manières de penser ou même de créer ne seraient plus les mêmes et l’univers nous paraîtrait effrayant. La roue est partout, elle permet tout, y compris parfois le pire. N’a-t-elle pas inspiré l’atroce supplice de la roue?

D’après les archéologues, c’est vers 3500 ans avant Jésus-Christ que, du côté de Sumer (ou en Europe centrale d’après certains), on eut l’idée d’utiliser un disque de matière dure (bois ou pierre) pour faciliter le transport d’un fardeau. Inspirée sans doute des rouleaux de bois posés pour diminuer les forces de frottement, la roue était née. Grâce à elle, on put déplacer plus rapidement de lourds fardeaux et, surtout, se déplacer soi-même, du moins à partir d’un certain rang.

Bientôt, elle fera son apparition sur le champ de bataille, apportant aux guerriers les plus riches la mobilité et la stabilité que ne permet pas le cheval monté sans étriers. C’est ainsi que les pharaons d’Egypte, sur leurs chars légers, surent assurer leur domination. Bien des siècles plus tard, Jules César affrontera les redoutables chars des Bretons lors de son expédition en Grande-Bretagne. Car les Celtes, Gaulois ou Bretons, apportent un perfectionnement décisif: le cerclage de la roue. Les « tombes à char » retrouvées en Europe occidentale (comme celle de Vix) nous éclairent aujourd’hui sur le savoir-faire des charrons gaulois. Avec le cerclage de fer, la roue devient plus résistante, mais aussi plus bruyante. On ne s’étonnera pas que Taranis, le dieu celte du tonnerre, soit toujours représenté avec elle à ses côtés. D’autres perfectionnements apparaîtront plus tard, et, avec l’industrie, de nouveaux matériaux.

Mais la roue ne sert pas seulement à se déplacer. Très vite on s’aperçoit de ses possibilités multiples dans le domaine de la mécanique. La roue dentée permet de transmettre un mouvement, voire de le démultiplier. Elle permet aussi de capter l’énergie de la rivière et d’actionner les meules des moulins à eau et les marteaux des foulons ou des forgerons (voire des papetiers). C’est la roue qui est véritablement à l’origine de la révolution industrielle.

Est-ce parce qu’ils ont écarté la possibilité d’une telle évolution que les Indiens de l’Amérique précolombienne (Mayas, Aztèques ou autres) ont refusé l’usage de la roue? On sait aujourd’hui que le principe leur en était connu mais qu’ils ne l’ont pas développé, du moins dans un sens purement matériel. Les seules roues qu’ils ont adoptées furent celles de leurs calendriers ou de leurs représentations cosmiques.

En effet, la roue n’est pas seulement une machine simple comme le levier. La jante qui tourne autour d’un axe immobile peut inspirer autre chose que des applications immédiatement pratiques: elle conduit à une méditation cosmique. D’une certaine façon, elle rappelle le ciel et ses constellations qui tournent en permanence autour de l’étoile polaire. La roue devient la roue du temps, toujours fuyant. C’est ce que traduit assez bien le dixième arcane majeur du tarot avec cette roue de la Fortune, étrangement munie d’une manivelle, qui indique l’abaissement et l’élévation, de toute façon la mutation et donc la destinée inéluctable.

Et l’on pense aussi au distique de Lao-Tseu dans le onzième chapitre du Tao Tö King (ou Daode Jing) : « Trente rayons se réunissent autour d’un moyeu. C’est de son vide que dépend l’usage du char. » Ici le vide (le « wu » selon la vision taoïste, c’est-à-dire le non-être) s’oppose à l’utilité immédiate et impermanente pour nous appeler à un « usage » plus subtil, à l’intériorité.

Le « non-être » du moyeu – qui n’est pas un pur néant – est gorgé de possibilités… comme l’antique roue. 

Minute

Publicité
Commentaires
Publicité