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O.N.G. - Extrême-orient(é)
29 octobre 2013

Paul Pelliot : Les Sept Vies du mandarin français

Sans titre

Savant, sinologue, linguiste, aventurier, diplomate, Paul Pelliot est tout cela en même temps en fonction des circonstances. Il est né à Paris le 28 mai 1878, et va mener dans sa jeunesse, une vie passionnante et passionnée qui ne manquera ni de bravoure, ni d’honneurs. L’Orient considéré au tournant du XXè siècle comme un « objet scientifique » aura été pour le savant Paul Pelliot celui d’une dévorante passion. Sinologue à vingt-et-un ans, après avoir étudié le chinois à l’Ecole des Langues Orientales vivantes, le jeune Pelliot débarque à Shanghai en mars 1900.A cette époque Shanghai connaît une expansion démographique et économique foudroyante. Trois mille étrangers y vivent parmi quelques quatre cent mille Chinois. Pelliot y rencontre le consul de France avant de se rendre au Cercle Sportif Français, club très fermé où se côtoie l’intelligentsia shanghaienne. Puis naturellement il rend visite aux Pères des Missions étrangères, sources d’informations et de connaissances irremplaçables sur la Chine.A Shanghai les nouvelles de « l’intérieur » ne sont pas meilleures qu’ailleurs. La Société du Grand Couteau, appelée aussi les Boxers,car il pratique la boxe chinoise, entrée en rébellion en décembre de l’année précédente fait circuler et afficher de sinistres pamphlets, appel au peuple pour tuer les diables d’Occident et détruire la religion chrétienne. Poursuivant son voyage alors que la Chine s’enfièvre de la sorte, Paul Pelliot rejoint Tien-tsin à cent vingt kilomètres de Pékin. Le ressentiment populaire est grand,et les Boxers multiplient massacres et pillage contre les chrétiens.Ils veulent faire la preuve de leur invincibilité et de leurs pouvoirs surnaturels. Mais les Boxers sont d’abord les ennemis de la dynastie mandchoue contre laquelle ils se sont déjà révoltés sous le règne de l’empereur Kia King mort en 1820.Néanmoins,il y a débat jusque dans les plus hautes sphères de la cour impériale. Deux camps s’y affrontent, l’un favorable et l’autre hostile à une alliance avec les Boxers contre les étrangers. Paul Pelliot étudie le phénomène boxer ; ni journaliste, ni militaire il se soucie d’abord de réunir des références. Le père du Cray, procureur des Jésuites, et le lazariste Dom Guilllout pourvoient ainsi à son édification, et ne sont sans doute pas étranger à l’indignation et au courroux qui bientôt l’enfièvreront.

Arrivé à Pékin, il s’installe à Yukeng, la maison des élèves interprètes, à l’intérieur de la ville tartare. capitale du royaume de Yen au 1ér millénaire avant notre ère, et alors connue sous le nom de Ki, la cité où au XIIème siècle Marco Polo a séjourné à la cour de l’empereur Koubilay Khan. Elle prend son nom moderne de Pei King « la capitale du nord » quand Yung Lo, le troisième empereur Ming la restaure en 1420. Le centre de la ville tartare est représenté par la ville impériale dont le cœur est la Cité rouge interdite.La foule innombrable est bigarrée, cosmopolite, le trafic intense et, ces jours-ci, on remarque la présence de curieux personnages aux cheveux longs tenus par un bandeau rouge,à l’air farouche que soulignent d’extraordinaires tatouages. Boxers ?

Placé entre la cité impériale et les portes Chien Men et Ha Ta Men du rempart méridional de la ville tartare,le quartier des légations est une enclave de 1 kilomètre carré environ dont les occupants jouissent du même privilège d’extraterritorialité que ceux des concessions de Shanghai ou de Tien-tsin.Onze légations y sont installées. Elles représentent à Pékin l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas et la Russie. On y trouve de nombreux commerces, entrepôts, banques, des bureaux de poste et de douane ainsi que plusieurs hôtels,et le fameux Pekin club. Malgré le désir qui brûle en lui d’en découdre avec les Boxers,le jeune Pelliot suit les cours de chinois que lui donne un lettré pékinois. C’est entre deux leçons,dans les librairies voisines que celui que Pelliot appelle -, avec un brin de suffisance, « mon lettré » conduit son élève qui y multiplie les achats au point d’épuiser les ressources mises à sa disposition par l’EFEO (Ecole Française de l’Etrême-Orient). C’est grâce à ce lettré que Pelliot est en contact direct avec le monde chinois. Il décrit alors superficiellement les Boxers comme une « association d’hystériques,d’hallucinés,de convulsionnaires,de fanatiques et de fumistes secrètement encouragés par le gouvernement chinois. » Le 13 juin 1900, c’est l’explosion. Les Boxers commencent le massacre des chrétiens indigènes et des serviteurs étrangers. Après quoi la foule entre dans le quartier des légations. Alertés Pelliot et une bande de civils français sortent de la légation de France et ouvrent le feu sur les Boxers. Voici Pelliot conforté dans sa ferveur guerrière. L’heure n’est plus à la diplomatie. Les atermoiements qu’il n’a cessé de condamner sont passés de mode. Le 16 juin,l’impératrice douairière laisse les mains libres au parti belliciste du prince Toan qui laisse faire les Boxers.La rumeur veut qu’ils aient décidé de détruire toutes les boutiques renfermant des objets européens. Un certain calme règne pourtant les jours suivants,mais le 19 juin le gouvernement donne vingt-quatre heures aux étrangers pour quitter le territoire chinois. Le corps diplomatique veut discuter des modalités d’évacuation. C’est le début d’une bataille de longue haleine,dont la légation de France sera l’un des principaux théâtres. Elle est défendue à l’est par la barricade dite « de l’Italie », et au nord,par celle de la rue de la Douane où campe Pelliot. Les Anglais s’apprêtent à occuper l’académie du Han Lin,sa bibliothèque contient la mémoire de la Chine mais les Chinois pourtant attachés à leurs traditions n’hésitent pas à incendier ce lieu plutôt que de voir les Anglais s’en emparer. Le voyage dans la langue de Paul Pelliot est ainsi conduit les armes à la main.Il combat en même temps qu’il étudie « l’objet scientifique ». Il n’est pas un militaire,et n’est pas venu à Pékin pour se battre ; toutefois,il n’a pas hésité à se porter volontaire.Le voyage dans la langue est donc politique et militaire,c’est dans l’action que le futur maître de la sinologie française donne ses premières livraisons.Il vient cependant de faire une découverte cruciale en s’informant sur les sociétés du Nénuphar Blanc et du Lotus Blanc. Désormais,le Boxer n’est plus seulement un lâche assoiffé de sang,il est aussi l’héritier d’une longue histoire et d’une grande tradition. Le regard du jeune homme est en train de changer même si ses notes trahissent un certain conformisme.En cette fin du mois de juin, la bataille atteint son paroxysme.Dans la matinée du 28, la légation de France subit trois attaques,et les défenseurs doivent abandonner les barricades. Aucun renfort n’arrive.

Le 10 juillet : « Journée assez calme, 3 prisonniers et 16 boxers tués à coup de fusil et baïonnette. » Telle est la définition d’une journée « assez calme » selon Paul Eugène Pelliot. Tout en combattant avec l’énergie que l’on sait, Paul Pelliot, qui n’a cessé d’observer l’adversaire,de l’étudier et à l’occasion de l’interroger brutalement avant de l’exécuter,a pu constater au jour le jour les évolutions en cours à l’intérieur du camp chinois.Le 16 juillet,Pelliot écrit que les soldats chinois ont ouvert le feu sur les Boxers. Erreur ? Le 17 juillet, vingt-et-un coups de canon sont tirés de la Cité interdite qui annoncent un cessez-le-feu. Une grande bataille a été livrée à Tien-tsin et elle a été perdue par les Chinois. Ce jour-là, Pelliot s’avance dans le parc jusqu’à une barricade élevée par l’adversaire ; les Chinois se montrent alors et font des signes d’amitié, et sans crier gare il saute par-dessus la barricade, et se fait conduire dans un yamen qui semble être celui du général chinois Jong-Lou.Le général est fort aimable, et il éprouve même une certaine sympathie pour ce jeune français qui s’exprime dans un chinois cultivé. De quoi est-il question ? Pelliot reste muet à ce sujet. A son retour au camp français, il se contente de déclarer qu’il a été « un peu malgré lui, conduit auprès du général Long-Jou qui l’a longuement intérrogé sur nos moyens de défense, nos ressources, nos vivres et munitions. »Alors que l’impératrice douairière a fui la ville pour se réfugier à Si-Ngam, le diplomate Li Hong-tchang est chargé de négocier la paix avec les puissances étrangères. Vaincue, humiliée, la Chine est devenue un Etat objet aux yeux de l’Occident vainqueur. A Pékin, l’orientaliste Pelliot a défendu l’Occident impérial. Il a mitraillé, fusillé, coupé des têtes, sûr de son bon droit. Mais il a – et il est le seul à l’avoir fait-sauté la barricade pour rendre visite aux dignitaires chinois, et aux chefs du mouvement boxer. Il a longuement parlé avec ces hommes qui l’ont bien accueilli alors qu’ils auraient pu aussi bien le faire empaler.C’est un regard nouveau qu’il a rapporté de son excursion. La Chine aura forcé son admiration.

Philippe Flandrin

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