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O.N.G. - Extrême-orient(é)
24 septembre 2013

Les waka de l'impératrice Michiko

Sans titre

Avant la révolution Meiji de 1868 qui le précipita à marche forcée dans la modernité occidentale, le Japon vivait concentré sur lui-même sans cultiver la volonté d'affirmation extérieure qui était en ce temps le propre des nations européennes. En revanche, il avait porté à un point rare sa propre façon d'être, sa conquête de lui-même, comme les Grecs avant Alexandre. Il avait élaboré une civilisation extrêmement raffinée, ce qui n'excluait pas la cruauté. Une civilisation scandée par des rituels de type religieux qui imprégnaient les gestes les plus minuscules de la vie comme ceux accomplis lors de la cérémonie du thé. Cette civilisation était irriguée par une permanence dynastique remontant à la plus haute antiquité et par l'exemplarité d'une aristocratie guerrière qui s'imposait à elle-même, une morale stricte authentifiée par le recours à la mort volontaire. Quand survint l'épreuve de 1853, l'irruption agressive des "navires noirs" du commodore américain Perry, le Japon n'était pas préparé techniquement. Mais nul pays n'était mieux préparé mentalement pour relever le défi combien redoutable de la puissance technique occidentale. Nul pays non plus n'était mieux préparé pour survivre aux épreuves du siècle suivant.

La permanence de l'âme japonaise peut se lire aujourd'hui dans les courts poèmes (waka) de l'impératrice Michiko. Avant son époux, l'empereur Akihito, cent vingt-cinq empereurs d'une même lignée s'étaient succédé sans interruption depuis le premier descendant de la déesse solaire Amaterasu, comme le veut la légende. De quoi nous étourdir, nous dont le pays s'applique de mille façons à oublie et renier son passer.
Pour se pénétrer de l'esprit du poème de l'impératrice Michiko, on peut lire les quatre derniers vers du waka écrit pour la cérémonie de majorité du prince impérial Naruhito : " Au seuil de ses vingt ans, enfance abandonnée, / Cœur serein de cristal, il marchera dès lors,/ Sur la voie large et droite des glorieux ancêtres. / Prince viril, il se dresse là, ô mon fils?". Ce fut écrit en février 1980, dans un Japon paisible, démocratique et besogneux, que l'on dit américanisé, trente-cinq ans après Hiroshima. Justement, pour le 50e anniversaire de l'apocalyptique bombardement, en 1995, l'impératrice écrivit avec une infinie retenue le waka que voici : " Sur Hiroshima / Foudroyé voici cinquante années / Tombe paisiblement / La pluie / La pluie et sa douce odeur." L'année précédente, l'impératrice avait célébré dans l'île d'Iwojima le sacrifice des combattants japonais tombés durant des combats désespérés, un demi-siècle plus tôt : "Ces lieux du souvenir / aujourd'hui paisibles / sont remplis d'eau, / cette eau que vous appeliez en vain, / courageux combattants !" Et voici encore le bref poème écrit pour commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale : " Parties sur quelle mer, quelle terre / je l'ignore. / Elles demeurent invisibles, / les nobles âmes / gardiennes du pays."

Pas de plainte, pas de regrets, pas de larmes, bien que celles-ci se pressent dans les yeux du lecteur sensible à la gravité des mots et à l'évocation des "nobles âmes, gardiennes du pays". Ces mots disent avec une pudique émotion l'éternité et l'immanence de l'âme japonaise.

Dominique Venner - Un samouraï d'Occident

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