Mais celui qu'on aime, c'est Mao-la-crème

Un groupe révolutionnaire n'est pas traversé que de tendances politiques, il est scindé en deux positions nettement contradictions. Il y a ceux qui ont le sens de l'humour et ceux qui ne l'ont pas, ces derniers de loin les plus nombreux. Je faisais tendance avec Hector et Petit Joseph (il s'agit de pseudonymes. A ce sujet, et même aujourd'hui, la tête sur le billot, je ne révélerais pas les véritables identités). Hector m'avait conseillé d'emporter ma guitare pour égayer les soirées albanaises, lesquelles ne pouvaient pas toujours se passer à discuter avec des membres des " Partis-frères passés au stade de la lutte armée" (Brésil, Indonésie, etc.). Je possédais toujours mon répertoire des années cinquante, marqué du sceau infamant de la culture impérialise américaine. D'une manière générale, les camarades français n'apprécièrent guère, en revanche, les Albanais présent furent tout à fait ravis, regrettant seulement qu'à ma connaissance d'Elvis et de Gene Vincent, je n'ajoutasse pas celle de Charles Aznavour et de Mireille Mathieu. Aussi bizarre que cela puisse paraître, les haut-parleurs de la plage ne diffusent pas les pensées de Enver Hoxha, mais des chansons anglo-saxonnes à la mode. C'est seulement après les vacances de 1972, que Enver Hoxha piquera une colère de décidera d'interdire les pénétration de la culture occidentale, ce qui se manifestera par des décisions concrètes, touchant à l'essence-même de l'être : pas de cheveux recouvrant les oreilles, pas de pantalons "patte d'éléphant" , pas de maillots de bains féminins deux pièces. J'ai donc favorisé, par mes provocations antisocialistes la répression idéologique. Encore heureux que je n'ai pas chanté, sur l'air de Nini peau d'chien, cette parodie qui faisait fureur entre République et Père-Lachaise :

A Tirana, on l'aime bien Enver Hoxha
Phare du marxisme-Léninisme
On l'aime bien - qui ça ? -
Enver Hoxha - où ça ? -
A Tirana.
Mais celui qu'on aime,
Qu'on a dans la peau,
C'est Mao-la-crème
Et son Lin Piao (variante, depuis fin 1971 : le roi des gauchos)

Alain Paucard - Paris est un roman