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O.N.G. - Extrême-orient(é)
2 août 2013

Le peril jaune

peril jaune
Völker Europas, wahrt eure heiligsten Güter !
(Peuples d'Europe, conservez vos biens les plus sacrés !)

Hermann Knackfuß, 1895

« On craint que les Japonais fusionnent avec les Chinois, les modernisent, en fassent des ‘citoyens’ et ne deviennent ainsi la première puissance du monde. C’est ce qu’on appelle le Péril jaune dont nous démontrerons la puérilité », écrivait, en 1904, Austin de Croze. De son côté, Jacques Novicow analysa le phénomène en 1897. Le sociologue, qui entend démontrer non sans ironie l’infondé des craintes du péril jaune, oriente sa démonstration sur le terrain économique plutôt que militaire : « Le péril jaune est signalé de toutes parts. Les Chinois sont quatre cents millions. Théoriquement, ils peuvent mettre trente millions d’hommes sur pied de guerre. Un beau matin, ils devraient envahir l’Europe, massacrer ses habitants et mettre fin à la civilisation occidentale. Cela paraissait un dogme inattaquable. Mais, on s’est aperçu dans ces derniers temps que les Chinois éprouvent une horreur insurmontable contre le service militaire. Depuis qu’ils se sont laissés battre par les Japonais, dix fois moins nombreux, les pessimistes ont fait volte face. Le péril jaune n’est plus à craindre sous une forme militaire, du moins pour une période qui peut entrer dans nos préoccupations, le péril jaune vient surtout de l’ouvrier chinois qui se contente de cinq sous ».

L’Occident, surtout les États-Unis (Californie) et l’Australie, connaissent alors les premières vagues d’immigration chinoise. Souvent couplée à la métaphore entomologique de la « fourmilière » asiatique, l’expression serait à l’origine allemande, gelbe Gefahr, attribuée à Guillaume II qui l’aurait forgée lors de la tentative du souverain allemand de fédérer les nations occidentales ayant des colonies en Asie contre le péril de la montée en puissance de la Chine et du Japon.

À peu près à la même période, l’expression fait fortune dans les pays anglo-saxons. En 1898, l’écrivain anglais P. Shield fait paraître une série de courtes histoires intitulée The Yellow Danger, dont la trame s’inspire du meurtre de deux missionnaires allemands en Chine en 1897. D’après l’interprétation de Jacques Decornoy, le péril jaune est donc une invention des « Blancs impérialistes et colonialistes » et « s’inscrit dans la continuité du mythe des Barbares avec lequel il partage l’expression occidentale d’une peur de la décadence ». En 1904, un article du New York Times du 15 février fait état de la réactivation du phénomène : « Our Berlin dispatches report that the sentiment in the ruling class in Germany is one of dread at what is called the «Yellow peril» and the cause of Russia is favored in the belief that Russia can and will repress the agression of the Asiatic under the lead of Japan ».

Au tournant du siècle, en 1901, l'actualité brûlante concerne plus particulièrement « les nations européennes engagées dans les affaires de la Chine ». Le « Péril Jaune », publié par Edmond Théry fait de la métaphore de la couleur le « combat des races ». Ultérieurement, le péril jaune vient désigner le danger que le Japon - cette jeune nation, ce meilleur disciple de la Révolution française - paraît faire courir aux nations occidentales et colonialistes lors du conflit qui l’oppose à la Russie de 1904 à 1905. La rhétorique du péril jaune prend à cette époque un nouveau sens et sert à désigner le péril japonais, ultérieurement décliné en japanese bashing (années 1980-90).

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