En parachute

Il est sans doute anormal et même prématuré pour un jeune homme de vingt-deux ans d'écrire ses Mémoires. Mais un parachutiste de cet âge est presque un vieillard. En outre, ce jeune homme a l'impression très nette qu'il ne peut remettre son projet à demain ; non plus à quelques mois ou à l'autre année, car il se pourrait qu'il n'y ait pour lui ni lendemain ni année prochaine.

Une autre raison l'a également déterminé à écrire le récit de ses aventures, aussi brèves soientelles : c'est qu'il a disposé de loisirs terriblement longs. Quand on est resté une année entière soit en prison, soit à l'hôpital, on a eu largement le temps de réfléchir, — peut-être trop. Chaque petit détail de la vie est alors tourné et retourné dans l'esprit, prenant une telle proportion que l'on en vient à lui donner une importance qui peut paraître exagérée. Cependant, ces aventures n'ont pas été embellies, ni déformées. Ce qui manque à ces Mémoires, c'est cette expérience de la vie, cet art de la sélection qui caractérisent les travaux des hommes dont la vie fut longue et mouvementée.

Avant de commencer le récit de mes aventures — d'abord en France, la dernière année de la guerre, puis en Indochine, où notre expédition a été le grand événement de ma vie — il est bon que je donne quelques dates. Bien que n'étant pas sensationnelles, elles sont utiles. Quoique parachutiste, je ne voudrais pas donner l'impression d'être trop dans les nuages.

Je suis né à Paris, le 4 mars 1926, fils du prince René de Bourbon et de la princesse Marguerite de Danemark. Mon grand-père maternel était le prince Valdemar, frère du roi Frédéric VIII de Danemark, de l'impératrice Dagmar de Russie et de la reine Alexandra d'Angleterre. Peu après leur mariage, mes parents s'installèrent à Paris. J'y naquis, ainsi que mes trois frères et soeur : Anne, Jacques et André. André est propriétaire d'un élevage près de Sorö, au Danemark, Jacques est pilote dans l'aviation danoise, et Anne est mariée avec le roi Michel de Roumanie. Notre train de vie à Paris était extrêmement modeste, je le note avec satisfaction. Ma constitution aurait-elle résisté aux fatigues de ma fuite à travers la jungle indochinoise si j'avais été élevé dans du coton, habitué au luxe ?

Michel De Bourbon-Parme - En Parachute (introduction)