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O.N.G. - Extrême-orient(é)
6 mars 2013

La muraille de Chine de Kafka

Sans titre

La muraille de Chine est un texte composé de fragments, relatant l'édification du célèbre monument. Cette nouvelle dresse une topographie : elle dessine différents espaces (capitales, villages périphériques), détaille les flux de communications (par affiche) et esquisse l'assignation des places.

Dans la première partie, "Ma ville natale", l'espace géographique se découpe en deux plans : le noyau que représente la capitale, et la périphérie directe des petits villages alentours. Les mouvements du noyau quelques chaotiques qu'ils soient (changements de pouvoir, renversements...) n'affectent guère la périphérie. Mais à cette périphérie directe et paisible s'oppose "l'étranger" qui envahit la périphérie directe vers le noyau. Ce corps étranger, violent, monstrueux, c'est les nomades, des barbares attirés par le palais. En regard de cette menace sonne l'annonce de la construction de la muraille.

« Un batelier étranger — je connais tous ceux qui passent ici d'habitude, mais celui-ci était étranger — m'affirme qu'on va construire une Grande Muraille pour protéger l'empereur. Devant le Palais se rassemblent souvent, paraît-il avec des démons, les peuples mécréants pour tirer contre Lui des flèches noires... ».

Les nomades du nord représentent l'anti-cloisonnement : ils dorment en plein air, ont les toits en horreur, ne comprennent ni la langue ni les gestes des gens de la capitale. Ils contaminent ce qu'ils touchent de leur monstruosité, effraient les citadins. Ce corps étranger et non-confiné représente ainsi une réelle menace face à laquelle il faut se fortifier. On assiste alors à l'ébauche du processus de fortification face au débordement des nomades du nord. Plutôt que le traitement, l'écoute, la répression ou que sais-je encore, le remède à ce débordement est la mise en place d'un mur, d'une cloison qui réprimera les assauts extérieurs et qui permettra de maintenir un noyau et une périphérie stable. Il s'agit ainsi, pour se protéger de l'extériorité, de maîtriser l'extériorité par la délimitation d'espaces. Le géographique vient endiguer la révolte du vivant.

La muraille se construit. Phénomène d'une ampleur gigantesque qui touche le peuple entier. L'enseignement acquiert désormais une valeur : il pourra être utiliser dans la construction de la muraille. Chacun peut désormais trouver sa place dans l'élaboration d'un tel monument. Aucune vie ne sera plus vaine et dénuée de sens puisqu'elle participera à la construction de l'édifice. C'est un projet de longue haleine, qui de par sa longueur dépasse amplement la plus longue vie. La muraille est un pont vers l'avenir, un ancrage dans l'horizon. En voir des pans achevés réconfortes les contremaîtres, mais ils sombrent aussi fréquemment dans le désespoir tant l'ampleur d'un tel ouvrage semble ne jamais voir la fin. La muraille concentre la vie, l'attire, l'affecte.

Mais un tel projet en cache un autre. Cette muraille va permettre la construction ultérieure d'une nouvelle Tour de Babel, grâce à l'acquis de la muraille. « D'abord la Muraille puis la Tour ». Cette fois, la Tour de Babel aboutira, car c'est finalement en oeuvrant d'abord sur la périphérie que le noyau peut se constituer. On retrouve alors le thème du "téléguidage" : un Grand Conseil, qui siège quelque part on ne sait où, dessine les plans et donnes les instructions. Le Grand Conseil n'est pas sans rappeler le père du Verdict qui organise le monde en sous-main et dresse une topographie inconnue échappant à l'entendement humain. Le peuple, d'ailleurs, ne connaît l'Empereur ni même sa dynastie. Peut-être même n'y a-t-il pas d'Empereur, comment le saurait-il ? Tout comme la hiérarchie obscure du Procès ou le maître du Château, la topographie exige une figure qui oeuvre dans l'ombre, inaccessible. Seuls sont connus les décrets. Les Lois elles-mêmes sont inconnues du peuple. Le simple humain se trouve alors dans un système très formalisé dont l'origine est inconnue et inconnaissable. Il ne reste que les méandres sinueux de la périphérie qui prennent valeur de déréliction. Il ne reste que la topographie et la bureaucratie qui viennent endiguer, ou plutôt écraser l'instabilité du vivant, la révolte de l'étranger. La vie est aplatit sur du géographique, et son organisation assigne une place à chacun. L'homme devient fonctionnaire.

L'espace alors se hiérarchise. Le système s'ordonne autours d'un fond inconnu et dont les fins dépasse l'homme. La muraille de Chine devient étude théologique. L'homme est écrasé par la majuscule, par l'Empereur, la Muraille, la Loi, la Noblesse. Il pivote autour de la majuscule.

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