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O.N.G. - Extrême-orient(é)
5 février 2013

Le thé (Minute)

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Son odeur, si tenace dans certains intérieurs britanniques, peut réveiller en vous des souvenirs de séjours linguistiques pas toujours folichons. Mais il a aussi inspiré poètes et musiciens, à commencer par Franz Lehar, dans Le Pays du sourire ou Vincent Youmans, le compositeur de No, No, Nanette. Ah, prendre le thé à deux, comme des amoureux !

Le thé demeure la première boisson consommée dans le monde, avec l’eau et le café. De Londres à Pékin en passant par Bombay, il règne sur tous les continents, parfois aussi indispensable que le pain. Dans les grandes métropoles chinoises, on voit couramment ouvriers et cadres se promener dans les rues avec leur thermos ou même leur bouteille de thé à la main.

Le thé, c’est sérieux. Outre sa teneur en caféine qui en fait un excitant fort intéressant, la feuille de « camelia sinensis » nourrit depuis plusieurs siècles un commerce actif générateur de profits substantiels avec 25 milliards de chiffres d’affaires par an. C’est aussi un des premiers symboles de la mondialisation avec son industrie concentrée pour l’essentiel chez une poignée de multinationales. Simplement, les porte-containers ont repris l’héritage des clippers.

Et très politiquement correct avec ça! Le thé, c’est le remords de l’homme blanc dans une tasse : produit généralement par d’anciennes colonies ou des pays comme la Chine, jadis dominés par les grandes nations occidentales, il garde le parfum entêtant des produits de luxe fournis à la sueur des peuples exploités. On y retrouve le souvenir fantasmé des coolies fourbus, de bédouins spoliés et des paysans épuisés courbés nuit et jour sur leur glèbe. Du reste, ce remords fournit un excellent argument marketing pour les vendeurs de thé supposé « équitable ». On ne boit pas de thé pour oublier…

Ce remords est sans doute l’une des raisons qui font du thé la boisson favorite des bourgeois-bohêmes. Ce n’est pas la seule. D’abord, il ne contient pas d’alcool, ce poison qui peut vous gâcher la plus belle dépression nerveuse. Ensuite, le thé est une boisson bourrée de vertus, surtout quand il est vert. Outre la stimulante caféine, il contient, comme le vin et le cacao, des polyphénols antioxydants, mais aussi plein de vitamines et peut-être même des oligo-éléments. Enfin, il est excellent pour la prévention des maladies cardio-vasculaires. Certains lui trouvent même des propriétés anticancéreuses ou amaigrissantes, d’ailleurs contestées. On comprend que l’empire du Milieu l’ait d’abord considéré comme une médecine.

Mais nos amis les bobos aiment-ils vraiment le thé? C’est une autre affaire. En dehors de quelques connaisseurs, la plupart utilisent ces infâmes sachets de gaze ou de papier (voire de plastique!) qui ne contiennent généralement que des rognures de feuilles de basse qualité. L’étiquette leur suffit, quant au goût, ils le méconnaissent à tel point qu’ils ajoutent du sucre à la sublime boisson. Il y a des toquades qui ressemblent à des trahisons. Il est vrai qu’en France, la culture du thé demeure quelque chose de tout récent.

Car le thé est un univers. Il suffit de penser à la cérémonie du thé japonaise, le « chado » (littéralement la « voie du thé »), où se déploie une subtile et somptueuse simplicité. En Chine, le thé a bien sûr ses connaisseurs, ses artistes qui savent élever et pré parer les meilleures feuilles, mais il a eu aussi ses sages comme Lu Yu (le sage du thé) et ses poètes comme, au VIIIe siècle, Lu Tong qui, en sept tasses et dix vers, décrit un véritable itinéraire spirituel (« La quatrième suscite une légère sueur / Et tout le noir de ma vie se dissout à travers mes pores / A la cinquième tasse, je suis purifié »).

En Occident, les rituels sont moins accomplis et l’on ne demande guère au thé de vous purifier, mais, de l’autre côté de la Manche, il y a quelque chose d’un peu comparable avec l’heure du thé, cette ponctuation quotidienne qui nous parait si exotique et qui institue une sorte de « paix du thé », souvent toute relative, mais indispensable. On peut d’ailleurs trouver étrange cette universelle quête de sérénité au moyen d’un authentique excitant. Mais, à condition que l’on cesse de le maltraiter, le thé ne recèle-t-il pas une part de magie? 

Jean-Michel Diard

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