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O.N.G. - Extrême-orient(é)
20 décembre 2012

Ishiwara, l'homme qui déclancha la guerre

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Le 18 août 1949 s’endormait pour ne plus se réveiller le général Ishiwara Kanji, emporté par le cancer dans sa soixantième année. Une mort paisible, entouré de l’affection de ses disciples. L’homme, faut-il le préciser, avait la tête religieuse. Une constante dans le corps des officiers nippons, aux yeux de qui la figure divinisée de l’empereur se confondait avec le sol sacré du Japon. La tête religieuse, la main verte aussi. Son uniforme remisé au placard, Ishiwara n’avait pas renoncé à son idéal de vie communautaire, transféré de la garnison à l’exploitation agricole dans laquelle lui et les siens expérimentaient de nouvelles méthodes maraîchères. L’écologie est une idéologie de droite, au Japon plus qu’ailleurs. Ne pas s’imaginer toutefois que Ishiwara avait tiré un trait sur son passé martial. Au contraire, logique avec son millénarisme, le jeune retraité s’était réjoui de la défaite de 1945, sanctionnée par la capitulation sans condition du Japon, premier acte selon lui du renouveau de la nation, à présent purgée de ses éléments réactionnaires.

Les rares mentions de son nom relatent la contribution décisive d’Ishiwara, à l’époque en poste à Tokyo, à l’échec du coup d’État militaire du 26 février 1936. Une virginité loyaliste acquise à titre posthume qui ne laisse pas de surprendre, tant celui-ci trempa dans toutes les conjurations de l’armée de terre japonaise, et il y en eut, de 1928 à 1941. Là réside l’intérêt majeur du livre de Bruno Birolli, avec la description - fine – de la mentalité de caste des jeunes officiers d’alors. Ishiwara apparaît pour la première fois tel qu’en lui-même, agent de l’ombre froid et exalté, tour à tour manipulateur et manipulé, professeur de géopolitique au collège militaire et poseur de bombe occasionnel. Birolli exagère à peine : sans le faux attentat de Moukden, perpétré par ses soins en 1931, l’occupation militaire de la Mandchourie et son corollaire, l’invasion de la Chine, n’auraient peut-être pas eu lieu. Il fallait un prétexte aux faucons japonais, Ishiwara se chargea de le leur fournir. La suite, on la connaît, dans le contexte de rivalité armée de terre-marine : Shanghai, Nankin, Pearl Harbor…

Peu d’hommes dans l’histoire auront personnifié comme lui l’expression « ouvrir la boîte de Pandore ». Comment ? La genèse de son parcours d’activiste mérite d’être retracée. D’extraction noble, Ishiwara fait partie de ces fils de samouraïs déclassés que la Restauration Meiji a laissés appauvris et désorientés. Pour ces milliers de hobereaux arrachés à leur condition multiséculaire, l’armée, institution « au-dessus des partis », n’ayant de compte à rendre qu’à l’empereur, sera un exutoire autant qu’un asile. La culture du complot, qui atteignit son paroxysme dans les années trente du vingtième siècle, ne s’explique pas sans ce rapport compliqué des cadres de l’armée avec l’obéissance au pouvoir civil.

Très vite à l’Académie militaire de Tokyo, Ishiwara se signale par un curieux mélange d’assiduité au travail et de non respect de l’étiquette. Tout le contraire de ses camarades de chambrée. Détectent-ils chez lui, à tort, un manque de vocation pour les armes ? Ishiwara n’est pas aimé de ses collègues et, du reste, il ne le sera jamais dans aucun de ses commandements. Le petit sous-lieutenant qu’il est encore en 1918 contient mal le moine guerrier tapi en lui. Insensible au charme féminin et d’une tempérance à toute épreuve, Ishiwara ne trouve de dérivatif à sa soif d’absolu que dans l’escrime et l’équitation. Autre originalité du personnage, son culte de l’empereur, partagé par sa génération, se double de celui qu’il voue à Napoléon Ier, l’empereur des Français. Sa photographie sur la couverture date de cette période de sa vie. Mâchoire volontaire, la bouche bien dessinée, le regard énergique : un pur produit de l’éducation militaire japonaise.

De retour d’Europe où il a assisté aux tractations interalliées, Ishiwara aborde les années vingt avec un sentiment mélangé. Exécrant le pouvoir légal aux mains de la bourgeoisie d’affaires, il n’en considère pas moins avec hostilité la progression du communisme dans son pays. En Russie, les bolcheviques ont renversé le tsar et instauré la dictature du prolétariat sur les ruines de la guerre civile. En Allemagne, l’empereur a dû prendre la route de l’exil afin d’échapper à la vindicte révolutionnaire. Pour Ishiwara, germanophone et germanophile formé à la prussienne, l’Occident tout entier est entré en décadence, miné de l’intérieur par ses idéologies en « isme » qui maintenant menacent d’engloutir à son tour le Japon. Son unique chance d’y échapper, Ishiwara en a eu la révélation tandis qu’il réglait le pas de son régiment durant un exercice, réside dans la militarisation à outrance de la nation, selon la méthode éprouvée du drill. Fascisme à la japonaise ? Le kokutai, la croyance dans les vertus spirituelles de la vie de caserne, s’accorde en tout point avec les principes moraux énoncés dans le bushido, le code de conduite des samouraïs.

À cette conviction largement répandue chez les officiers, Ishiwara ajoute encore son adhésion aux préceptes du nichirénisme, une secte ultranationaliste au discours mêlant bouddhisme de combat et vision d’apocalypse. Ses adeptes professent leur foi en une guerre finale au terme de laquelle la Loi de Bouddha régnera sur le monde réunifié. Très en vue dans les cercles militaires, la secte Nichiren compta parmi ses membres au début du siècle l’amiral Togo, le vainqueur de Tsushima. Son panasiatisme militant, sa prétention à l’universalité, son caractère missionnaire séduisent un Ishiwara de plus en plus corseté par son devoir de réserve.

À quelques heures de navigation de l’archipel japonais, la Chine exhibe ses richesses immenses, que pillent de connivence exploiteurs occidentaux et seigneurs de la guerre locaux. La Chine ! Beaucoup au Japon voient en elle une grande sœur un peu facile, à tout le moins attardée. Depuis 1918, l’armée japonaise lorgne vers le nord. Ishiwara a fait le voyage lui aussi. Il en est rentré convaincu que le destin de l’empire, à l’étroit dans ses îles, se joue sur le continent. Plus qu’une idée, une prophétie dont il se fait l’ardent propagandiste dès 1925 au Collège militaire de Tokyo, où il enseigne la géopolitique avec le grade de capitaine. Ishiwara ne l’ignore pas, le Japon accuse un retard technologique certain par rapport à ses rivaux anglo-saxons et même soviétique. Qu’à cela ne tienne, la conquête de la Mandchourie et de ses inépuisables réserves en matières premières et en hommes, la collectivisation de l’économie japonaise sous l’autorité de l’armée le combleront. Le fanatisme et la combativité supérieure du soldat japonais feront le reste.

Aujourd’hui la Chine, demain la Mongolie, l’antichambre de la Sibérie. En 1929, tous les rouages de la machine infernale sont déjà en place, prêts à être actionnés. On ne ressort pas de ce livre passionnant de bout en bout sans être déconcerté par l’idéalisme sincère, à la limite de l’aveuglement, d’Ishiwara. Ainsi du parti Concordia, qu’il créa pour promouvoir l’entente sino-japonaise en Mandchourie colonisée et financé par le trafic de l’opium. Et que dire de la passivité des autorités japonaises ? Son entreprise, il est vrai, fut favorisée par le dogme de l’infaillibilité impériale, qui condamnait Tokyo à avaliser la politique du coup de force des militaires, au risque de se trouver écorné. L’insubordination manifeste d’Ishiwara, un temps dictateur de la Mandchourie, se traduisit par sa nomination au grade de général en 1937.

Sa mission accomplie, Ishiwara retourna à l’anonymat avec la guerre généralisée pour laquelle il avait tant œuvré.

Hergé se trompait en caricaturant les conspirateurs japonais en personnages grimaçants dans le Lotus bleu. Un instituteur en uniforme, voilà bien l’image que Ishiwara renvoie de lui au sortir de sa biographie, portrait d’un pays et d’un régime autant que d’un homme.

Laurent Schang

Bruno Birolli, Ishiwara, L’homme qui déclencha la guerre, ARTE Éditions / Armand Colin, octobre 2012, 252 pages, 20 €

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Commentaires
S
Un peu d'Ungern dans ce général.<br /> <br /> La derniére tentative de coup d'état eue lieue quelques heures avant l'annonce de la rédition.
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