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O.N.G. - Extrême-orient(é)
4 octobre 2012

Les arts premiers n'existent pas

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Si l' appellation « art primitif » avait quelque chose de péjoratif elle avait le mérite d'être cohérente au regard du colonialisme qui l'avait à la fois découverte et créée: l'art africain, autant artistique que religieux et social, n'ayant pas été conçu à l'origine par les Africains pour finir en bibelots sur la cheminée des colons belges. Appellation condescendante et fascinée pour le « primitif», née de la supériorité objective d'un monde qui en avait conquis un autre; un monde occidental qui doute aujourd'hui de sa supériorité, vu où celle-ci l'a mené (Shoah, Hiroshima, Loana ... ), mais qui ne doit pas confondre une légitime réflexion avec de la flatterie compensatoire. Car si ces arts ne sont pas « primitifs » (ça se discute), ils sont encore moins «premiers», le seul critère pour juger objectivement de ce qui est premier étant la chronologie : les peintures rupestres de Lascaux, vieilles de 40 000 ans, sont assurément plus « premières » que les bakotas, faits au XIXe siècle avec du cuivre récupéré de nos propres casseroles. À moins de penser que les Africains du siècle dernier étaient encore plus primitifs que nous il y a 40 000 ans, ce qui a tout d'un jugement de valeur ethnocentrique pour le moins péjoratif. « Premier » (fondateur) ou « primitif» (mal dégrossi), la terminologie reste, comme toujours, une question de pouvoir, or le pouvoir de décréter « primitif » ou « premier » l'art des autres, c'est toujours nous qui l'avons; les Africains, que je sache, n'ayant pas encore les moyens d'édifier chez eux des musées d'«. arts seconds » consacrés à nos cathédrales et au quattrocento. Malaise de colons occidentaux qui ont beau jeu de magnifier aujourd'hui à l'excès ce qu'ils ont contribué à détruire, puisque depuis qu'ils ont décrété l'art africain génial dans les années 20, les Africains d'Afrique ont cessé d'en faire pour ne plus produire que de la copie pour touristes, ravalant leurs arts majeurs au niveau de nos peintures de la place du Tertre ! Plus révélateur encore du malaise occidental que ce petit jeu sur les mots, la volonté- affichée par le plus haut représentant de l'État français - de remplacer le musée de la Marine et le musée de l'Homme par un musée des Arts premiers ; soit, comme Éric Tabarly l'avait bien compris, un musée populaire du génie occidental (celui qui permit à Christophe Colomb de découvrir l'Amérique) et un musée de la recherche anthropologique, par un musée au service du lobby des antiquaires à l'origine du projet. Deux musées nationaux voués au public populaire et aux chercheurs, sacrifiés - pour qui connaît les liens étroits unissant le milieu de l'art primitif, celui de l'art contemporain et une certaine bourgeoisie postmodeme - pour un musée pour snobs : un musée du colonialisme honteux de ses origines et de ses conquêtes, mais tout à la gloire de ses habiles commerçants !

Alain Soral - Abécédaire de la bêtise ambiante

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