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O.N.G. - Extrême-orient(é)
28 septembre 2012

On s’est appliqué à détruire en moi le sens du merveilleux et de l’espoir impossible

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La scène prend place au début des Centurions (à la page 46 exactement) ; les officiers français, héros du roman, viennent de débarquer au camp de prisonniers viet-minh n°1 après plusieurs nuits d’une marche épuisante, qui a laissé de nombreux morts sur le bord de la piste.

« Un autre lieutenant vint se joindre à eux ; il était Algérien et se nommait Mahmoudi. Discret, silencieux, il faisait deux fois par jour ses prières tourné vers La Mecque. Boisfeuras remarqua qu’il commettait des erreurs et qu’il se courbait sur le sol à contre-temps. Il lui posa cette question :

– Vous avez toujours fait vos prières ?

Mahmoudi le regarda étonné :

– Non, seulement quand j’étais enfant. J’ai recommencé depuis que je suis prisonnier.

Boisfeuras le fixait de ses yeux presque blancs.

– J’aimerais savoir les raisons de votre toute nouvelle ferveur, à titre personnel, croyez-le.
– Si je vous disais, mon capitaine, que je ne les connais pas, ou du moins que je les connais mal, et que ce que j’entrevois pourrait vous déplaire…
– Rien ne me déplaît…
– J’ai l’impression que cette défaite de Dien-Bien-Phu, où vous (il appuya sur le “vous”) avez été vaincu par une de vos anciennes colonies, aura de très grandes répercussions en Algérie, qu’elle sera le coup d’épée qui tranchera les derniers liens entre nos deux peuples. Or, l’Algérie n’a pas d’existence en dehors de la France ; elle est sans passé, sans histoire, sans grands hommes ; elle n’a rien, que sa foi différente de la vôtre. C’est autour de notre foi que nous pouvons commencer à donner à l’Algérie une histoire et une personnalité.
– Et pour pouvoir nous dire : « Vous, Français », deux fois par jour vous faites des prières vides de tout sens ?
– C’est un peu cela, mon capitaine. Mais j’aurais aimé, même dans cette défaite, pouvoir dire : « Nous, Français. » Vous ne l’avez pas voulu.
– Et maintenant ?
– C’est trop tard. (…) Non, ce n’est peut-être pas trop tard, mais il faudrait faire tellement vite, ou qu’il se produise un miracle.
– Vous ne croyez pas aux miracles ?
– Dans vos écoles, on s’est appliqué à détruire en moi le sens du merveilleux et de l’espoir impossible. »

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