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O.N.G. - Extrême-orient(é)
24 février 2012

Apologie pour la chandelle verte

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6 août 1937

J'ai été très peiné, l'autre semaine, ma chère Angèle, de voir Pierre Gaxotte traiter d'asperge la colonne de la Paix qui s'élève place du Trocadéro. Comment un aussi profond exégète de la pensée philosophique d'Ubu-Roi a-t-il pu s'y tromper ? Il sait bien pourtant que cette farce grandiose est le bréviaire où nos hommes politiques vont puiser leurs programmes, depuis le croc à phynances jusqu'aux exécutions soviétiques. Or quel est le juron du Père Ubu ? Non, ce n'est pas celui que vous pensez, qui n'est qu'une exclamation avec consonne d’appui. Le juron du Père Ubu, c'est : "Par ma chandelle verte !" La colonne de la place du Trocadéro, c’est la chandelle verte d'Ubu-Roi.

Pour ma part, je ne cesserai jamais d'être profondément satisfait par ce symbole, et par ce qu'il nous apprend sur la pensée intime de nos chefs. Cette chandelle domine une sorte d'urinoir semi-circulaire, où court une phrase d'Aristide Briand sur la paix indivisible, en Europe et en Asie, belle maxime qui devrait nous jeter, après les Espagnols, au secours des Chinois. Et, comme vous le savez, sur le pourtour de l'excroissance verte elle-même, on peut lire le nom de la Paix écrit en un certain nombre de langues. Je suppose, n'ayant pas eu la patience de le regarder, qu'on n'y a oublié ni le japonais, ni le chinois, ni l'éthiopique, ni surtout l'espagnol. Il convient de vivre avec son époque

L'esprit en est fort content. Elever un monument à la paix, au temps où nous vivons, ce pouvait être, ma chère Angèle, une entreprise émouvante. Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, comme disait l'autre. Mais cette Exposition nous avait déjà appris à remplacer la maxime du Taciturne par une autre plus à la page, et devise de nos dirigeants : Il n'est pas nécessaire d'entreprendre pour espérer. Elle nous aura appris, en outre, qu'un monument à la paix pouvait comporter sa part de dérision, de comique avoué, et qu'un gouvernement où entrent MM. Pierre Cot et Dimitrov ne consentait décemment à parler de la paix qu'en la transformant en objet d'énorme rigolade. La chandelle verte en est bien la preuve.

Ne m'en veuillez pas, chère Angèle, d'une ironie qui touche à des objets sacrés pour vous. De même que jadis, sous forme de presse-papier, on trouvait la Tour Eiffel, souvenir de l'Exposition, sur quelques cheminées bourgeoises et sur quelques bureaux, de même on trouvera chez vous, j'en suis sûr, ce monument à la Paix 1937. Et les esprits réfléchis verront dans ce fétichisme un témoignage touchant de votre obéissance aux lois qui nous gouvernent. Car enfin, il était bon que dans cette Exposition fussent représentées les véritables reines de notre temps, je veux dire la Farce, la Bourde, l'Eloquence et l'Information. Sans doute, me direz-vous, il y a déjà un pavillon de la Presse, un pavillon de la Radio et du Cinéma. Mais, aux foules, il faut des symboles plus éclatants. Depuis des années, on ment, sur tous les sujets, avec une virtuosité qui attire l'admiration. On nous montre les plus belles nuées et on nous dit : "C'est la terre ferme." On nous transforme les francs-Auriol en francs-Bonnet et on nous dit : "C'est de l'or en barre." On nous exhume quelques radicaux mal blanchis et M.Taittinger nous promet : "Avec eux, pas de troubles dans la rue." On nous fait voir l'univers flambant par ses quatre bouts et on nous dit : "Le monde veut la paix." On nous dit que la France est une grande nation indépendante, et, à ceux qui ne veulent crier ni ‘‘Vive Berlin !’’ ni ‘‘Vive Moscou !’’, on assure qu'il n'y a pas d'autre ressource que de crier ‘‘Vive l'Angleterre !’’

Telle est l'histoire de notre temps, ma chère Angèle, si l'on veut la conter en phrases véridiques. Vous comprenez bien qu'il fallait que tout cela fût figuré à l'Exposition. Aussi a-t-on pris ce qu'il y avait de plus gros, de plus énorme dans les bourdes dont on nous repaît. On a chargé les plus éminents talmudistes, les professeurs de Sorbonne les mieux habitués aux variantes, fautes d'impression et gloses du Père Ubu, de chercher dans la Bible de l'internationalsocialisme, dans ce Mein Kampf des farceurs et des politiciens, l'image la plus propre à nous évoquer d'un coup toute notre histoire, et d'un seul cri ils ont répondu : "Par ma chandelle verte ! la Farce de la Paix dépasse certainement toutes les autres. Tout est aujourd'hui si éloigné de la paix que son nom seul provoque les éclats de rire. Elevons donc à cette morte bafouée le monument qu'exige Ubu-Roi." Et voilà pourquoi, ma chère Angèle, sur le sommet de la colline, entre les deux corps de bâtiment du Trocadéro, vous pouvez apercevoir, si vous vous placez à égale distance du pavillon soviétique et du pavillon allemand, la chandelle verte que le Front populaire tient toute prête à être allumée, sans doute, aux divers feux qu'il entretient sur l'horizon.

Brasillach Robert - Lettre à une provinciale

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