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O.N.G. - Extrême-orient(é)
20 juillet 2011

Vengeance ad nauseam

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Une rubrique ciné formellement déconseillée aux coeurs sensibles et aux estomacs fragiles cette semaine puisque consacrée à J’ai rencontré le Diable, film sud-coréen dont l’extrême violence a conduit notre commission de classement (censure est devenu un gros mot) à l’interdire aux moins de 16 ans, mesure rarissime par les temps laxistes qui courent.

Une décision tout à fait justifiée étant donné le caractère glauque et dérangeant de ce thriller horrifique qui a remporté lors du dernier Festival international du film fantastique de Gerardmer le prix de la critique et celui du public. Un rare consensus donc pour le 6e long-métrage de Kim Jee-Woon, grand maître du cinéma de genre au « pays du matin calme » qui n’a jamais aussi mal mérité cette appellation poétique au regard de la vision infernale qu’il en donne ici. Il n’est pas le premier cinéaste sud-coréen à se pencher sur les tares, les dérives et la déshumanisation de son pays natal mais il le fait d’une manière encore plus radicale et excessive dans la peinture du mal et de la monstruosité que Park Chan-Wook dans son célèbre Old Boy, grand prix à Cannes en 2004, modèle que l’on croyait insurpassable du film de vengeance à la sauce asiatique. Kim Jee-Woon joue à fond de tous les codes et clichés des films de toute nationalité fondés sur la loi du talion et les porte à leur paroxysme tant au niveau d’un scénario diaboliquement pervers que dans la stylisation effrénée avec laquelle il met en images, quasi-insoutenables par moments par leur réalisme et leur crudité, la confrontation entre le tueur et le vengeur. Mais laquelle de ces deux figures archétypales correspond au diable titre ? Dans le premier quart de l’intrigue, l’ambiguïté n’est pas encore de mise ; le mal absolu est représenté par le personnage de Kyung Chul, conducteur de minibus scolaire le jour et tueur en série sadique la nuit. Dans la séquence d’ouverture, il agresse sauvagement avec une barre de métal une jeune femme dont la voiture était tombée en panne dans un endroit isolé avant de la faire passer de vie à trépas de façon atroce avec des instruments tranchants. Quelques semaines plus tard, la police retrouve la tête coupée de la malheureuse flottant dans un marais. Accablé de douleur, Suyoon le fiancé de la victime, agent secret de son état, jure qu’il infligera à son assassin des souffrances mille fois plus terribles que ce qu’elle a subi. Il mène sa traque à un train d’enfer en outrepassant quelque peu le cadre de la stricte légalité et retrouve vite la trace de Kyung Chul. La mort étant trop douce pour ce dernier, il le laisse en vie après l’avoir sérieusement tabassé et lui avoir implanté à son insu une puce GPS lui permettant de suivre le moindre de ses déplacements. Le bourreau va devenir la victime certes pas innocente de l’implacable justicier qui joue avec lui à un épouvantable jeu du chat et de la souris. Les rôles s’inversent à un tel point que dans certains passages, le spectateur éprouverait presque de la compassion pour le tueur face aux raffinements de cruauté de son poursuivant. Kim Jee-Woon nous place dans une situation d’inconfort moral total, annoncé d’emblée par cet exergue extrait de Par delà le bien et le mal de Nietzsche : « Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre… ».

Si l’on peut regretter sa longueur excessive elle aussi (2h22 chrono) et une surenchère complaisante dans le malsain et le macabre, le film vous prend littéralement aux tripes et peut inciter les éléments les plus matures du public à de saines et sombres réflexions sur la nature humaine. Superbement réalisé avec d’époustouflants morceaux de bravoure (entre autres la scène d’ores et déjà culte du taxi sanglant) et interprété par deux formidables acteurs, superstars en Corée du sud, Choi Min-Sik (Old Boy) dans le rôle du monstre au-delà de toute possibilité de rédemption et Lee Byung Hun (le méchant du précédent film de Kim Jee-Woon,le picaresque “eastern” mandchou Le Bon, la Brute et le Cinglé) dans celui de l’agent secret au bord l’abime, J’ai rencontré le Diable n’est certes pas à mettre devant tous les yeux mais il s’agit sans aucun doute d’un des films d’horreur les plus efficaces et corrosifs de ces dernières années. Avis aux amateurs!

Patrick LAURENT pour Rivarol 3008

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