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O.N.G. - Extrême-orient(é)
25 février 2011

La résistance Shan

3XBH

Depuis plus de soixante ans, l'ethnie Shan mène une lutte acharnée contre le gouvernement central. Ils revendiquent un État qu'ils défendent avec quelques milliers de soldats, dans une région inhospitalière proche de la frontière thaïlandaise, où l'armée birmane tente d'écraser les poches de résistance. Les Shans, comme d'autres ethnies en guerre contre la junte, sont les premiers à critiquer les élections du 7 novembre 2010, un « carnaval », selon eux, destiné à isoler les mouvements de résistance.

L’arrivée à Loi Taleng, quartier général de la Shan State Army (SSA-South), armée rebelle combattant le SPDC (State Peace and Development Council), la junte birmane, est un avant-goût de la complexité à saisir les tenants et aboutissants de la situation des groupes ethniques en Birmanie. La route est longue, pentue, semée d’embûches et d’ornières où le véhicule négocie à grand-peine. Mais il passe toujours et continue sa route. C’est là toute l’histoire d’un peuple fier, les Shans, qui continue à revendiquer son droit à l’indépendance obtenu à la conférence de Panglong en février 1947.

C’est à partir de ce nid d’aigle, Loi Taleng, situé sur le versant birman de la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, au nord de Mae Hong Song, que le RCSS (Restauration Council of the Shan State), bras politique de l’Etat des Shans indépendant, et la SSA-South, bras armé qui contrôle 60 % du territoire, mènent leur lutte. Leur leader, le général Yawd Serk, a reconstruit la SSA-South (créée en 1958) à la fin des années 90, après l’implosion de la MTA (Mong Tai Army), l’armée de Khun Sa, le tristement célèbre trafiquant de drogue qui se rendit à la junte en décembre 1995, qu’elle avait rejointe. Khun Sa laissa derrière lui un peuple, des soldats, qui croyaient en la victoire finale. Un leurre de plus dans une Birmanie où il est difficile, même dans sa propre ethnie, de distinguer l’ami du traître. C’est le point faible, avec le clanisme et les ambitions personnelles, qui a empêché depuis 50 ans les ethnies birmanes de se mettre d’accord dans la manière de lutter contre les généraux de Rangoon. « C’est le manque d’unité entre nous, ethnies, dans nos buts et stratégies, qui nous a toujours handicapés », a un jour déclaré Yawd Serk, président du RCSS. Mais, depuis peu, les groupes armés ethniques (Kachins, Chins, Shans, Karens, Karennis, Mons, Arakanais…) se rapprochent les uns des autres, après avoir refusé de s’intégrer à l’armée birmane. Un espoir est peut-être en train de naître. Soixante ans d’oppression de la part d’une junte inflexible n’ont pas entamé la foi des « Tigres » Shans dans leur droit à la liberté.

Loi Taleng est la plus grosse des sept bases retranchées tenues par la SSA-South en territoire Shan (à ne pas confondre avec la SSA-North, qui contrôle un petit périmètre du nord de l’Etat autoproclamé), près de la frontière thaïlandaise. Le système politique et institutionnel du RCSS, microcosme de principes démocratiques, est financé par la taxation sur les revenus des ressources exploitées à l’intérieur du territoire qu’il contrôle (mines, bois, caoutchouc…), les investissements, les donations, et le support de la diaspora. Une structure de gestion transparente et une ethnie qui ne dépend pas, comme ses voisinsWa, du commerce de la drogue. A deux kilomètres à l’est du village, à une centaine de mètres en contrebas des positions de la SSASouth, on peut d’ailleurs apercevoir les premiers camps retranchés de la UnitedWa State Army. Des commandos mènent régulièrement des assauts contre des raffineries de méthamphétamines et d’héroïne chez lesWa, meneurs actuels du trafic de stupéfiants en Birmanie et pendant longtemps associés de la junte. Cette politique anti-drogue apporte aux Shans un soutien non-officiel, mais bien réel, de la part du gouvernement thaïlandais et de leurs alliés américains, notamment à travers l’échange d’informations. Loi Taleng, qui compte quelques milliers d’habitants, une école, un dispensaire et des troupes stationnées aux abords du village, fonctionne sur un système d’entraide communautaire. L’harmonie et le sentiment de liberté qui y règnent, loin de la répression de la junte, sont la preuve que, même dans l’une des plus implacables dictatures de la planète, il reste toujours un espoir. Les gens sourient, les élèves chantent en allant à l’école, les soldats sont calmes et respectueux, les enfants jouent, des travailleurs sociaux donnent leur temps et leur énergie sans compter, une poignée d’Occidentaux enseigne bénévolement aux jeunes l’anglais et les rudiments de l’anatomie et des premiers soins d’urgence. Le tableau semble presque trop beau. Car il cache les conditions de vie précaires que doivent endurer les Shans, sous la menace constante de l’armée birmane. Pas d’électricité courante, hormis quelques générateurs qui fonctionnent quand ils veulent. Ni eau. La plus haute instance médicale est une infirmière et les médicaments sont comptés : quelques boîtes d’antibiotiques à large spectre, d’antipaludéens et de paracétamol. Malaria et pneumonie font plus de victimes au sein des troupes que les balles ennemies. Mais, même avec d’aussi faibles moyens, les Shans ne renonceraient pas à leur liberté. Alors, civils et militaires ont trouvé des moyens d’autosubsistance dont chacun profite : énergie hydraulique tirée d’une minuscule chute d’eau pour certains, ferme alimentant autant qu’elle peut le village et les troupes, utilisation précautionneuse des ressources en eau… On trouve même à la sortie du village un camp d’IDP (Internally displaced people) qui ont fui les régions Shans contrôlées par la Tatmadaw (nom donnée à l’armée birmane).

Boycott des élections

Lorsque les troupes de la SSA remontent vers les lignes de front, laissant derrière elles les multiples bunkers perchés sur les collines autour de Loi Taleng, les embuscades et accrochages avec l’armée birmane sont fréquents. La guérilla Shan, forte d’une dizaine de milliers d’hommes, patrouille sans cesse son périmètre de montagnes, du nord au sud, apportant protection autant qu’elle le peut aux civils. A chaque village où les soldats passent, ils sont accueillis en héros. Combattants aguerris, ils connaissent parfaitement le terrain et sont craints par les soldats birmans pour leur courage et leur habilité au combat dans la jungle. Leur emblème, le tigre, est cousu sur leur uniforme.

Pour Yaw Serk, le leader des Shans, les élections du 7 novembre sont un « carnaval » où les généraux de la junte au pouvoir, menée par le général Than Shwe depuis 1992, ont troqué leurs uniformes militaires contre des costumes de parlementaires. L’armée s’est réservé un quart des sièges au sein des deux chambres du Parlement, a bâillonné tous les partis d’opposition (dont la NLD d’Aung San Su Kyi) et garde le droit de décision sur tous les grands problèmes sécuritaires du pays. La plupart des partis démocratiques, ainsi que tous les groupes armés ethniques ayant signé le cessez-le- feu de 1989, avaient décidé de boycotter ces élections organisées par le SPDC sous l’égide d une nouvelle constitution imposée au peuple en 2008. Pour certains, cet appel aux urnes a seulement pour but d’apaiser une communauté internationale de plus en plus pressante, et qui s’inquiète du fait des enjeux géopolitiques et stratégiques des deux grandes puissances de la région : la Chine, support sans faille de la junte birmane, qui cherche à asseoir un accès militaire et un approvisionnement en énergie dans l’Océan Indien, et l’Inde, soutenue par Washington, qui tente de contrer cette influence chinoise trop expansionniste à leur gré. Les leaders Shans de l’Armée du Sud voient l’avenir sombre pour les ethnies et la société civile birmane. De plus, alors que les autres groupes armés ethniques sont prêts à négocier ou à se battre pour un fédéralisme non-sécessionniste, la SSA-South revendique, elle, son droit à la sécession et sa volonté de voir naître un Etat des Shans libre et indépendant.

La lumière dans les ténèbres

C’est ma dernière nuit à Loi Taleng. Les enfants jouent aux billes sur la terre poussiéreuse du chemin traversant la bourgade. Les rares gargotes s’éteignent : les générateurs s’arrêtent après les trois heures quotidiennes accordées à la communauté. Quand on n’est pas impliqué dans le trafic de stupéfiants en Birmanie, il faut se contenter de peu...
Alors que dans le ciel les étoiles viennent percer les ténèbres birmanes au-dessus de la bourgade endormie, la seule maisonnette restée allumée est le bureau du directeur de l’école. Un système hydroélectrique manuel remontant d’un ruisseau en contrebas fournit assez d’électricité pour l’alimenter en permanence. C’est ça, Loi Taleng : une lumière d’espoir dans la nuit Shan, une lumière dans les ténèbres de la Birmanie interdite. Et ce n’est peut-être pas un hasard si c’est dans les bureaux du directeur de l’école que cette lumière perdure, comme un symbole du dévouement du RCSS à l’éducation des générations futures, base incontournable d’une démocratie saine.
Je fixe une dernière fois cette lumière de l’espoir, respire l’air frais des montagnes, convaincu que les Tigres Shans se battront jusqu’à leur dernier souffle pour que cette lumière ne s’éteigne jamais.

Gavroche Thaïlande

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Commentaires
O
Bonjour, il faut leur demander, sinon la Légion Etrangère recrute.
J
Bonjour est ce que la guérilla Shan accepte les volontaires étrangers?
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