« Nessun dolore » (Aucune douleur), entrevue de Domenico Di Tulio
1- Alors Domenico, commençons par les banalités journalistiques : quelle
est ta part dans la voix du narrateur de « Nessun dolore »?
Disons
que chaque roman est l’expression de la personnalité de celui qui
l’écrit. Il y a certainement de moi dans les personnages du livre. C’est
le cas pour un en particulier, il se rapproche de moi surtout vu son
âge, sa profession et le quartier où il vit.
2- Un
roman sur Casapound qui sort chez Rizzoli : nous avons gagné la
révolution et nous ne nous en sommes pas rendu compte ou alors nous
sommes nous seulement fondu dans le paysage d’un système qui nous as
déjà « digéré » ?
Je ne sais pas si Casapound a gagné la
révolution, c’est clair qu’il existe un intérêt très fort de la part de
l’imaginaire qu’il exprime : Casapound exerce une fascination
instinctive qui dépasse les préjugés et génère de la curiosité. Ce qui
attire c’est la façon de vivre, l’imagination et le style que l’on voit
dans ses initiatives. Ce livre est certainement la preuve de cet
intérêt, plus que le courage de l’éditeur que l’on doit tout de même
saluer. Chaque jour, cet intérêt augmente vis-à-vis du monde les
tortues, on réalise que sous une carapace aussi robuste et bizarre se
cache une âme aussi légère et délicieuse.
3- Un des
personnages du roman est un « vieux » militant qui a un rapport
ambivalent avec la nouveauté politique constituée par les jeunes gens du
Blocco studentesco. Sans vraiment raconter ton livre, peux-tu nous en
dire un peu plus sur ce personnage?
J’ai voulu créer un
personnage qui rassemblait en lui les contradictions de nombreux
militants de la droite radicale avant Casapound. Un archétype de ceux
qui étaient des activistes il y a 15 ans, un peu perdus de devoir
dépasser les vieux schémas et l’hérédité idéologique, incapable de
distinguer entre la forme et la substance, entre tradition et nostalgie,
utilisés puis sacrifiés par ceux qui ont rapidement échangés le bomber
pour un costume taillé sur mesure. De nombreux de ces « vieux »
militants ont trouvé en CP une synthèse parfaite et rassurante, d’autres
continuent à dire que dans leur temps c’était mieux, toujours rejetés,
marginalisés mais au fond complètement inutiles.
4-
Restons dans le thème vieille/nouvelle école : ta connaissance du milieu
politique de la droite radicale date des années 80, les changements ont
été nombreux mais pour toi y a-t-il eut une mutation anthropologique ?
Le
changement anthropologique dans les dix dernières années me paraît
évident. C’est dû en parti à un climat plus favorable et c’est le fruit
d’une communication directe qui a fait grandir cette droite radicale. Il
faut dire que dans cette mutation le fait d’avoir des lieux fixes, des
occupations et autres espaces a une grande importance. Ils sont devenus
de véritables laboratoires de culture et d’action et surtout, de
métapolitique.
5- De temps en temps, dans « Nessun
dolore », tu parles de la Beauté (Bellezza) : dans les esprits et les
corps, véritable état de grâce, qui tire les protagonistes de la
banalité du monde des égaux. Celui qui connaît notre univers sait de
quoi l’on parle. Pour les autres, qui ne s’y connaissent pas autant et
qui liraient le roman, comment raconterais-tu l’essence de cette Beauté?
La
beauté est l’électricité qui te fait avancer, un sur mille, uni avec un
autre millier et en qui tu reconnais ton amour, ton essence, et ton
destin. Cette beauté ne s’explique pas, je ne peux qu’essayer de la
raconter mais je pense que nous avons tous la capacité de la
reconnaître. Au quotidien à Casapound, on retrouve une attitude
particulière qui est la recherche de cette beauté, qui devient un vrai
moyen d’action : elle pousse à l’initiative, favorise les rapports
humains, guide les choix culturels. C’est un moteur constant, une
motivation forte et inébranlable.
6- La description de
ce « corps-machine » est très belle dans le roman, le fait que l’effort
physique n’est plus du « sport » mais presque un « rite ». Quelle est
l’importance de cette « copropriété » dans la politique, est-ce typique
de Casapound?
L’action de Casapound est toujours très
physique, le corps a une grande importance pour tous ses militants et
sympathisants : les dizaines d’associations sportives qui sont nées sous
l’égide de la tortue, les tatouages de symboles immédiatement
reconnaissables, sont des manifestations naturelles de la conception
traditionnelle qui veut voir coïncider le bien-être corporel à celui de
l’esprit. Ce n’est pas par hasard que les sports de combat pratiqués par
les militants de tous âges, qui apprennent la maîtrise de soi, la
résistance à la douleur, le respect des règles et de l’adversaire, le
courage, aient tant de succès. Cela devient une qualité spirituelle et
métaphysique, un style de vie.
7- Casapound et le
« monde extérieur » : il semble émerger un nouveau rôle à ce groupe
alors qu’avant l’exclusion avait un effet immobilisant… ton roman parle
aussi de cela, non ?
C’est clair que l’attention facilite
la communication active! Casapound n’est pas un ghetto mais un
avant-poste du monde, une position pour se maintenir toujours près à
conquérir la nouveauté. Le jeune Blocco ne se limite pas à se tailler sa
place au sein de la politique estudiantine, il veut reprendre le monde
qui lui appartient de droit. Les militants et les sympathisants de CP
vivent sereinement et sont déterminés pour une lutte quotidienne, pour
reconquérir tous les domaines qui correspondent à leur vision de la vie.
Nous ne sommes pas une réserve indienne ou un petit jardin dans un
paradis fiscal.
8- Un autre élément semble avoir
évolué, c’est la musique. Elle caractérise le début de Casapound. Ma
conviction personnelle, c’est que c’est la vitrine et l’avant-garde de
ce que CP fait le mieux : la métapolitique et le combat culturel.
C’est
une conviction que je partage : le message de CP se diffuse à son
meilleur au travers de la métapolitique. C’est une action fluide et
libre, ouverte, riche en initiatives et en provocations intelligentes.
La musique est à l’origine du groupe qui a fondé Casapound, c’est son
expression universelle. Le premier manifeste de la Tortue fut
certainement le CD de Zetazeroalfa. C’était le cas pour le premier et
c’est toujours vrai pour le dernier.
9- Le monde
digital est en train de créer une appartenance de plus en plus
« liquide », évanescente… l’appartenance que tu soulignes dans ton roman
paraît pourtant extrêmement concrète.
Le concept
d’appartenance que je raconte coïncide exactement avec le militantisme :
aujourd’hui il est difficile de l’expliquer à qui n’a jamais connu
l’expérience directe de l’unité, de la cohésion que vivent les membres
de Casapound. Leurs actions sont placées sous le signe du sacrifice, ils
sont dévoués. La communication digitale offre la possibilité d’être à
mille endroits différents dans la même seconde, de toucher mille vies
dans une journée, de participer à cent discussions en même temps sans
être soi-même ou verser une goutte de sueur. Le militantisme des garçons
de CP est un témoignage constant et véritable de leur essence, il
convainc quiconque les voit l’œuvre.
10- Nous avons
commencé avec le classique « qu’y a-t-il de toi dans le livre »,
terminons avec un autre lieu commun : quels sont tes prochains projets
littéraires?
J’en ai deux ou trois sur lesquels je
travaille dans mes temps libres vu que je ne suis pas écrivain
professionnel. Cela me plairait beaucoup d’écrire un livre qui
raconterait les expériences professionnelles et humaines que rencontre
un avocat de la défense. On a souvent l’image de l’avocat qui s’en remet
à la clémence de la cour, la réalité est bien différente car c’est
grâce à l’abnégation de ces professionnels mal vus et souvent mal payés
que la justice italienne ne s’effondre pas sur elle-même. En même temps,
je collabore à un projet collectif journalistique qui s’appelle
Rashomon comme le film de Kurosawa. Nous voulons raconter sous forme
d’un blog, en prise directe, des conflits ethniques et politiques en
recueillant des témoignages et en offrant des images sans filtre. En
septembre nous sommes allés au Kosovo pour ce projet.