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O.N.G. - Extrême-orient(é)
9 septembre 2010

Léopold Chasseriau, planteur à Singapour

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En 1819 lorsque Sir Raffles fait de Singapour un comptoir pour la British India Company, l’île couverte de collines et de jungle est déjà pourvue d’une vingtaine de plantations de gambier, exploitées par des chinois. Les tigres, les serpents ne rebutent pas les planteurs européens qui se lancent peu après, dans la culture du muscadier. Mais en 1860, une maladie emporte tous les plans. Les cultures du cocotier, du sagou, du poivre et du gambier, du sucre, du café puis du caoutchouc se développent sur les collines de Singapour jusqu’à la fin du XIXe siècle.

En 1850, débarque en Malaisie, à Penang, au nord est de la Péninsule, un jeune bordelais de 25 ans, Léopold Chasseriau qui vient tenter sa chance. Il vient de l’île Maurice où il a acquis de l’expérience dans le domaine des plantations. Il crée en Malaisie, sa propre exploitation de canne à sucre connue sous le nom de Ara Rendang Sugar Estate mais qu’il rebaptise Malakoff pour commémorer la victoire française lors de la guerre de Crimée. Il construit une usine pour raffiner le sucre, utilisant des machines qu’il fait venir de France. La plantation est située loin de la côte, près de Sungei Dua dans la partie est de l’île de Penang mais ne bénéficie pas des canaux nécessaires au transport de la canne, ni du bois dont il a besoin pour alimenter les moulins à sucre. Léopold Chasseriau décide d’abandonner la culture du sucre au profit du tapioca.

Il vend Malakoff au début des années 1870 et s’installe à Singapour avec sa famille Léopold Chasseriau est très vite à la tête de la plus grande plantation de manioc de l’île, couvrant 1200 hectares de terrain sur Bukit Timah. Les racines de manioc sont récoltées, puis traitées pour être consommées sous forme de farine ou de perle. Chasseriau possède trois usines de transformation avec des machines à vapeur et il est admiré parmi les planteurs pour sa façon de gérer sa main d’œuvre. Pour stimuler la compétition, il fait travailler ensemble des coolies des différentes ethnies, malais, indiens et chinois. A cette innovation, il ajoute un chef d’équipe pour les superviser et un autre qui surveille ce chef d’équipe et qui lui inspecte le derrière du pantalon au cas où l’idée lui serait venue de s’asseoir au lieu de rester debout à crier après les coolies ! La plantation est particulièrement prospère et fait l’admiration : en deux ans et demi, Léopold Chasseriau a défriché environ 1000 acres¹ de jungle , y a planté progressivement du manioc et a produit environ 8000 piculs² de tapioca. La famille Chasseriau est très connue à Singapour. Léopold est marié avec une française et ils ont deux enfants, Emile et Léopold junior. Contrairement à beaucoup d’européens qui emploient sur place une amah chinoise ou malaise, ils ont à leur service, Emma, une jeune femme française, célibataire, d’une trentaine d’années.

Elle est seule et sa charge de travail est immense, prenant soin des enfants jour et nuit et s’occupant de la maison pour un maigre salaire. L’éducation donnée dans la famille Chasseriau reste très française. Dans un rapport sur l’éducation des enfants dans le milieu colonial à Penang fait entre 1850 et 1870 il est mentionné que le petit Emile Chasseriau est emmailloté avec des langes comme pendant l’hiver en France, qu’il transpire donc beaucoup et attrape des rhumes très souvent. Le docteur King note aussi que le bébé n’a pas été baigné depuis des mois et que sa tête n’a jamais été lavée, ce qui a entrainé des problèmes de peau.

Le docteur King essaie donc de persuader Madame Chasseriau et sa bonne Emma de commencer à laver le bébé avec de l’eau et du savon, de la tête au pied pour le bien de l’enfant !

Chasseriau ne s’en tient pas au tapioca. Il plante aussi du café. Avant lui, déjà, en octobre 1839, un français M. Le Dieu crée la Singapore Joint Stock Coffee Compagny. Pour mettre en route son projet, il édite un prospectus alléchant : la plantation doit se situer à 8 km du centre, sur la route de Serangoon et il est précisé que le gouvernement de l’île apportera son aide. Les actions sont chères : 100 dollars chacune, mais la compagnie prévoit un revenu de 12 millions de dollars par an à très court terme. La plantation ne voit jamais le jour. Deux ans plus tard les actionnaires demandent des comptes et veulent savoir où est passé leur argent et il n’y a bien sûr plus de trace de M. Le Dieu ! Quelques années avant de prendre sa retraite, en 1880, Léopold Chasseriau se lance donc dans la culture du café, sa plantation de tapioca rapportant suffisamment. Dans un article du Straits Times du 25 octobre 1883 on peut lire : « Mr Chasseriau possède environ 600 acres sur son exploitation, plantés de café libérien qu’il régit avec une énergie bien française depuis 10 ans. Il a révolutionné les plantations de de l’île en montrant comment le café peut être planté avec succès et grand profit et nous ne pouvons qu’espérer qu’il ait raison, non seulement pour son bien, mais pour celui de toutes les plantations des Territoires du Détroit. » « Si M. Chasseriau a autant de succès avec le café qu’avec le tapioca, sa fortune est faite à Singapour” peut-on lire l’année suivante dans le Straits Times.

Difficile d’apprécier si la fortune de Chasseriau est grande… mais quand il prend sa retraite, ses affaires sont prospères. Il continue, à s’intéresser au café et il fait des essais de liqueur. Il ne dépose malheureusement pas l’idée, ni le produit, qui pourtant est de qualité. Celui-ci est reconnu comme très satisfaisant par six experts de Londres et de Bordeaux entre autres. Le Straits Times de l’époque, en fait mention, et il est fier d’écrire, que c’est un compatriote qui a découvert le premier cette liqueur.

Chasseriau laisse sa propriété à l’un de ses frères. En 1885, la société devient une compagnie publique avec un capital de 250000$ dont seulement 120000$ du capital ont été versés. En 1889 il n’y a plus que 800 acres de cultivés.

L’histoire des planteurs se termine progressivement avec le développement du port, des entrepôts et du commerce. Les planteurs partent soit vers la Malaisie, soit vers l’Indochine. Le caoutchouc remplace petit à petit toutes les autres cultures, puis ce sera en Malaisie, l’ère du palmier à huile. En 1891, âgé de 66 ans, Léopold Chasseriau rentre en France pour y traiter quelques affaires et il meurt accidentellement à l’escale d’Aden. Sa compagnie est très vite mise en liquidation. En 1898 les terrains et la propriété sont repris par la Singapore Municipality pour devenir une partie des réservoirs qui alimentent la ville en eau.

La compagnie ‘Chasseriau planters and manufacters’ est tenue par les frères Chasseriau qui possèdent encore deux plantations, Tasek et Champedah, bien rentables, ainsi qu’une usine de gutta percha. Mais cela ne dure pas bien longtemps. En 1901, la maison de la plantation Chasseriau Estate est vendue. Le 18 août 1902 le Swiss Riffle Club ouvre ses portes sur le site de Bukit Tinggi, les anciennes terres Chasseriau, connues encore à l’époque par les natifs sous le nom de Chasseriau Estate. Le 6 décembre 1985, comme un clin d’œil à l’histoire française à Singapour, l’Ecole Française inaugure ses nouveaux bâtiments à Bukit Tinggi, sur l’ancienne propriété Chasseriau.

1- Soit environ 1640 hectares
2- Mesure cochinchinoise qui vaut 62,500 kg

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