Le mensonge
L'oncle
HÔ, mort en septembre 1969, aurait eu cent ans en mal. L'Unesco
commémorera cet anniversaire. Pour célébrer la contribution d'Hô Chi
Minh à "l'indépendance de son pays, à la lutte des peuples pour la paix,
au retour de la démocratie et de la liberté au Vietnam, au Cambodge et
au Laos, à la lutte contre les impérialismes. Enfin, à la promotion des
arts et de la culture". Exit
la conquête brutale du Cambodge, la colonisation du Laos, les massacres
des ethnies montagnardes, l'Intolérance religieuse, les camps de
concentration, les déportations de populations, les tortures, la ruine
économique du Vietnam transformé en une gigantesque caserne, les boat
people et les sept millions de morts de quarante années de guerre
inutile. C'est un stalinien convaincu que l'Unesco s'apprête à glorifier. Mao, Staline, Pol Pot, Ceausescu ...
Il
y a quinze ans, tombaient les régimes non-communistes de l'ancienne
Indochine. Coup sur coup, le Cambodge, le Viêtnam, le Laos. A quelques
semaines d'intervalle, le rideau de bambou s'abattait sur les trois pays
que l'intervention américaine n'avait pu empêcher de basculer. Première date catastrophe: le 17 avril 1975. Démoralisée, trahie par les Etats-Unis, l'armée républicaine du maréchal Lon Nol
remet ses armes aux « petits frères de la forêt», les Khmers rouges.
Les premiers témoignages sur les atrocités commises depuis plusieurs
mois dans les régions tombées sous le contrôle des maquisards, la
trentaine de journalistes jamais ressortis de leurs zones, n'ont pas
suffi à convaincre les Cambodgiens de l'horreur à venir et de
l'importance de résister. Seules quelques unités d'élite se battent
jusqu'aux dernières cartouches autour de l'aéroport de Potchen-tong,
autour des brasseries indochinoises, et sur la route numéro 1. Pourtant,
en ce matin du 17, les guérilléros qui encerclent Phnom Penh ne sont
qu'une poignée. Au bas mot cinq fois moins nombreux que les forces
gouvernementales. Mais les militaires ont décidé de croire à la
réconciliation nationale, et aux fadaises martelées jour après jour dans
les médias internationaux. La presse de gauche, il faut le rappeler,
a joué son rôle désinformateur à merveille. Dans son édition. qui
paraît le lendemain de la prise de la capitale cambodgienne Le Monde titre: « Phnom Penh, c'est la fête ». La
fête durera quatre ans. Et coûtera au pays entre deux et trois millions
de morts, victimes de l'utopie meurtrière du régime Pol Pot qu'avaient
appelé de leurs vœux tant de journalistes et d'autorités morales. Rien
qu'en France: Lacouture, Todd, Ponchaud, Pic, Bertolino ... Ironie du sort, il faudra attendre, dans les années 1980, la sortie d'un film de fiction: La déchirure, pour que l'Occident prenne enfin conscience de la face cachée de « la révolution de la forêt». Les mêmes, Lacouture, Ponchaud, Todd, Pic
... reprendront du service, pour dénoncer, cette fois-ci, les «
trahisons » de leurs anciens amis. « Après avoir fait tuer les gens pour
vivre, on peut toujours en sucer les os pour survivre», dit un proverbe
khmer ... Moins de deux semaines après l'entrée des Khmers rouges dans la capitale cambodgienne, le régime du président vietnamien Nguyen Van Thieu s'écroule à son tour. Les
appels au secours lancés par les Sud-Vietnamiens ne reçoivent aucun
écho. L'aide militaire américaine de la dernière chance attendue par
Thieu n'arrivera pas. Les 720 millions de dollars que réclame au Congrès
le président Ford ne seront
jamais débloqués. Les sénateurs refusent même les 250 millions que le
président leur demande au titre de l'aide humanitaire. « Le Viêtnam, c'est mort» déclarera le Démocrate Henry Jackson.
Très vite rallié à l'opinion dominante de son Congrès, Gerald Ford,
s'exprimant sur la chute prochaine du Sud-Viêtnam, dira sans rougir: « Cela ne changera pas la face du monde. Et cela n'empêchera pas les USA de conserver leur leadership ».
A 12 heures 15, le 30 avril, Bui Duc Mai,
pilote du char 879 de la 203ème brigade blindée nord-vietnamienne,
défonse les grilles du palais de l'Indépendance. Lorsque la nouvelle
parvient au Congrès, les Démocrates applaudissent. Jackson expliquera plus tard, à peine embarrassé: " Nous applaudissions seulement la fin de la guerre ". Henry Kissinger,
l'un des rares à ne pas se réjouir du drame qui se noue au Viêtnam,
écrit au secrétaire du prix Nobel de la paix pour lui annoncer son
intention de rendre le prix et l'argent obtenus au lendemain de la
signature des accords de Paris en 1973. La presse le tourne en dérision.Au
Laos, même si la prise de pouvoir par les communistes est en apparence
moins brutale qu'au Cambodge et au Vietnam, elle est très vite suivie
par une répression implacable. Conduite méthodiquement Fin novembre
1975, après l'installation du pathet lao à Vientiane, les premiers
trains de fonctionnaires fidèles au prince Souvanna Phouma
partent pour les camps de rééducation politique installés par les
commissaires viêtnamiens. Des centaines de personnes y seront
assassinées, enterrées vivantes par les « can bô » de Hanoï. A
l'origine de ce triple désastre, la volonté d'un homme : Hô Chi Minh. Et
l'aveuglement d'un peuple, celui des Etats-Unis. Hô Chi Minh avait-il
les moyens de gagner sa guerre? « Non », répondent les experts. «Non,
s'il n'avait été aidé par ses propres ennemis, les Américains».
Gagnée
sur le terrain, la guerre a été perdue dans la rue, sur les campus, et
au Congrès américains. C'était l'époque des belles consciences. Jane Fonda,
la plus célèbre d'entre toutes, défile à New York dans les
manifestations de soutien aux « camarades vietcongs». D'autres militants
« pour la paix», acteurs, écrivains, s'envolent pour faire avouer leurs
crimes aux prisonniers américains détenus à Hanoi. La critique Susan Sontag, coqueluche de la presse américaine, n'hésite pas à écrire: «Le
Viêtnam est une société éthique, démocratisée par la guerre. Les
Nord-Viêtnamiens ne savent pas haïr. Nos prisonniers sont mieux traités
que la population du pays ». Libérés du « Hanoi Hilton », la
tristement célèbre prison communiste, ces mêmes prisonniers qui avaient
survécu à la détention, mettront des années à faire connaître les
souffrances qu'ils avaient vécues. Les autorités morales veillaient... Personne ne fut inquiété. Personne ne fut poursuivi pour trahison. Jimmy Carter
devait même féliciter plus tard les Fonda, Sontag and co de « s'être
battus pour la paix » ... Pas étonnant que l'oncle Hô ait lui-même
déclaré: « Mes meilleurs alliés dans cette guerre sont les Américains ». «
Nous applaudissions la fin de la guerre », avait dit Jackson. Qui
pouvait réellement croire que l'entrée des forces de Hanoi au
Sud-Viêtnam allait installer la paix dans l'ancienne Indochine? 1975 est bien au contraire le début d'un nouveau conflit, la troisième guerre d'Indochine. Dès le mois de mai, les bo-doïs attaquent au Laos les forces non-communistes de Vang Pao.
Elles mettent sur pied un plan d' éradication systématique de la
minorité Mhong, jugée hostile. Les montagnards sont éliminés à l'arme
chimique. Des dizaines de milliers de morts en quelques mois. Mais « les morts ont tort », répétait souvent le général Patton. Un calembour qui ne contredirait pas la célèbre pensée d'Hô Chi Minh: « Rien n'est plus précieux que l'indépendance et la liberté». Les
adeptes de l'oncle Hô feront bientôt emprisonner au Sud, dans ce pays
de 19 millions d'habitants, plus d'un million de personnes, militaires,
universitaires, techniciens, poètes, journalistes, médecins ... 65 000
seront exécutées, et plusieurs dizaines de milliers d'autres envoyées à
la mort dans les opérations de déminage ou de défrichage des forêts
insalubres. A ce jour, environ deux millions de boat people ont fui
le Viêtnam. Selon les témoignages des rescapés, on sait désormais qu'un
fuyard sur deux est resté au fond de la mer de Chine. Hô Chi Minh prétendait rendre son pays « dix fois plus grand et plus beau ». Les
40 années de guerre et de politique impérialistes ont ruiné l'économie
viêtnamienne. A l'instar du grand frère soviétique, Hanoi a cherché dès
le début à imposer une planification centralisée et rigide. Aucun des
objectifs des divers plans quinquennaux. n'a été atteint. Le PIB a
régressé chaque année. Il devait augmenter de 13 %. Même mésaventure
pour l'agriculture qui devait croître de 10 % par an. L'industrie qui
tourne au ralenti s'effondre, elle aussi. A partir de 1983,
l'aggravation de la fiscalité a ruiné nombre de petites entreprises qui
étaient parvenues à se maintenir après le tournant de 1975. Presque neuf
millions de personnes sont aujourd'hui au chômage: plus d'un quart de
la population active!
L'invasion
du Cambodge en 1979 a entraîné l'annulation d'un programme d'assistance
de la Chine d'environ 900 millions de dollars, ainsi que celle d'une
aide occidentale de 180 millions de dollars. Et surtout, le boycott du
FMI. Cinquante mille soldats viêtnamiens, en majorité sudistes, sont
morts dans cette troisième guerre d'Indochine. Plus de trois cent mille
Khmers ont été tués au cours de ces dix années de conflit, mais Hô Chi
Minh sera quand même célébré. L'Histoire n'a retenu de cette épreuve
que l'horreur du colonialisme français, la perversion de la bouteille de
coca-cola et du billet vert, et la sauvagerie du massacre de Mi Lay.
Olivier Todd ne se trompait pas (enfin) lorsqu'il écrivait dans son
livre Cruel avril que « le Viêtnam méritait une histoire révisionniste » ... L'assassinat
de plus de 60 % des prisonniers de guerre dans les camps viêtminhs, les
charniers de Hué en 1968, les killing fields, les boat people, les
minorités ethniques gazées, les déportations, l'absence de libertés les
plus élémentaires, la répression politique (annoncée le mois dernier par
le gouvernement viêtnamien lui-même!) méritaient bien un coup de
chapeau de l'Unesco qui, dans cette guerre, a toujours soutenu les
bouchers contre les héros.