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O.N.G. - Extrême-orient(é)
6 janvier 2010

Entrevue avec Malay Phcar

9782221103104

1. Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter ?
Je m'appelle Malay PHCAR ; J'ai 39 ans. Je vis en France depuis 1980. Malgré la distance le Cambodge est cher dans mon coeur.

2. Et à part être auteur du livre « L'Enfer Khmer Rouge » que faîtes-vous dans la vie ?
Je suis intervenant en arts plastiques et en informatique dans des écoles et je suis styliste de mode. Autrement, je suis auteur d'un deuxième ouvrage « Une Enfance en Enfer ; Cambodge, 17 avril 1975 à 8 Mars 1980 », parue cette année chez Robert Laffont.

3. Pouvez-vous nous faire une chronologie de votre « Enfer Khmer Rouge » ?
Nous étions neuf enfants dans ma famille. Et je suis le 7ème, j'avais deux sœurs et six frères. Nous habitions à Phnom Penh, à un kilomètre à peine de l'ambassade de France.
En 1975, avant l'arrivée des Khmers Rouges, mon père voulait que nous partions pour la France. Mais ma mère et l'un de mes frères n'avaient pas pu avoir leurs papiers, alors nous ne pouvions pas partir. Les réfugiés fuyaient les campagnes et affluaient à la capitale. Ils racontaient les atrocités commises par les Khmers rouges. Ils étaient épouvantés et fuyaient les massacres. Et ils n'avaient pas de quoi manger. Ma mère ne savait plus qui elle pouvait aider, en donnant un peu de riz aux réfugiés.
Le 17 avril 1975, les Khmers Rouges prennent Phnom Penh et donnent l'ordre d'évacuer la ville à ces trois millions d'habitants en moins de trois jours.
Ils nous jetèrent sur les routes. C'était une rivière humaine. Nous avions des motos et des vélos mais nous ne pouvions pas rouler. Nous nous piétinions sur place. Nous étouffions ! Nous avons avancé d'à peine cinq cents mètres le premier jour. Nous étions fatigués mais nous ne pouvions pas nous asseoir. Nous avions faim et nous avions soif… Je n'avais que neuf ans, et je n'étais pas le plus jeune ! Ma mère a marché sur le corps d'un homme !
Nous marchions sur des bras, des jambes, sur le reste de corps humains.
Cinq années d'errance, de répression et de souffrances au cours desquelles j'avais perdu mes parents, mes frères et sœurs. Tous mes proches.
J'ai été envoyé dans un camp de travail pour enfants. Je devais creuser des canaux, monter des digues avec un ventre creux et vide. J'ai contracté le paludisme, la dysenterie, et j'étais seul, sans mes parents. Je n'avais rien pour me soigner.
Je devais me guérir tout seul ou mourir. Nous, les enfants, avions faim, nous avions des crampes d'estomac. Les Khmers Rouges nous torturaient, ils brûlaient des boules de coton sur le ventre, comme de l'acupuncture, pour, soi-disant, soigner notre faim.
Après la mort de mes aînés, je deviens à douze ans chef de famille. Je devais secourir mes deux jeunes frères.

4. Pourquoi avoir écrit un livre ?
Pour l'amour de mes parents, pour l'amour de mes frères et sœurs, pour l'amour de TOUS mes proches, pour l'amour de TOUTES les victimes, et pour l'amour du Cambodge. Je devais écrire ces livres. Je suis vivant, et je ne les oublierai jamais ! Nous avons été victimes de la barbarie humaine. Ecrire, cela m'a fait beaucoup de bien, car cela m'a permis de comprendre beaucoup de choses. Je m'en voulais d'avoir égaré mon petit frère sur le chemin de l'exode. C'était mon devoir de le sauver et j'ai perdu sa trace. Aujourd’hui j'ai compris que j'étais trop jeune pour être responsable. Les seuls responsables étaient les Khmers Rouges et leurs soldats fanatiques.

5. Pour vous, le jugement des anciens dignitaires Khmers Rouges, est-ce vraiment un bien pour le peuple khmer ?
Tous les criminels sont responsables de leurs actes ! Trente ans après avoir commis leurs crimes, les bourreaux Khmers Rouges ne sont toujours pas jugés. Pourquoi ?
Pol Pot est mort. Sans jamais avoir été inquiété par le moindre procès pour ses crimes contre nos parents… et quant à Khieu Samphan, Ing Sary et Noun Chea, ils se moquent complètement de leurs victimes. Noun Chea a demandé pardon « pour avoir tué des animaux ».
Des millions de cambodgiens souffrent aujourd'hui à cause de cette impunité.
Et notre pays vit sous la menace d'un nouveau drame. Les responsables Khmers Rouges ont fait du Cambodge un grand cimetière, avec l'aide de certains pays étrangers et sans que la communauté internationale n'intervienne.
Cambodge, année zéro. Pourquoi ? Aujourd'hui, qui en profite ? Nos voisins qui font de nous ce qu'ils veulent.
Nous devons commencer par soigner nos blessures. Les plaies doivent être cicatrisées. Jugeons nos bourreaux.  Nous ne pouvons pas tous les juger en même temps. Mais soyons raisonnables. Soyons justes et équitables. Redonnons d'abord au peuple khmer la confiance en l'avenir. Et alors nous pourrons sauver notre Cambodge. Montrons aux voisins que nous sommes forts, que nous sommes capables de juger nos bourreaux ! N'ayons pas peur de juger nos démons.

6. A part ceux qui sont prévus, voulez-vous voir d'autres personnes dans le banc des accusés ?
Khieu Samphan, Ing Sary et Noun Chea doivent être jugés. Car l’impunité est néfaste pour l’avenir de notre pays, elle empêche la réconciliation de notre peuple. Trente ans après le génocide nous ne sommes toujours pas en paix.

7. Que signifie pour vous la date du 7 janvier 1979 ?
Pour moi, cette date ne représente pas la libération de mes souffrances puisque, dans mon errance, j’ai fini par perdre la trace de mon plus jeune frère et le laisser derrière moi pendant plus de vingt ans. Je n’avais que 12 ans, et j’étais dans la jungle cambodgienne et je portais mon plus jeune frère sur mes épaules. J’étais dans le désespoir, et je devais trouver de l’eau et de la nourriture pour survivre. C’est une souffrance qui se prolongeait. Nous errions dans la forêt et les montagnes, et nous voyions les gens qui mourraient de faim et de soif… Personne ne voulait nous aider.

8. Des projets à venir ?
Suite à mon retour au Cambodge pour un documentaire du reporter et réalisateur Olivier Weber, j’ai retrouvé mon petit frère, 25 ans après. Il est vivant. Je peux enfin vivre. Et écrire encore…

9. Et pour finir, quels sont vos endroits préférés au Cambodge ?
J’aime me promener au bord du Tonlé Sap, retourner à la briqueterie de mon papa pour passer du temps et discuter avec les anciens ouvriers. J'aime aussi me promener dans les rizières et à Angkor Wat, c’est le bonheur.

Khmer-Network

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