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O.N.G. - Extrême-orient(é)
2 octobre 2009

Erwan Bergot, ou notre Indochine

erwan_bergot

C’est en 1992 que la Ve République s’est soudain souvenue que l’Indochine avait été française. Elle le fit comme elle fait toute chose : à grand bruit et grand fracas médiatique. Pour effacer l’agonie de nos soldats à Diên Biên Phû, et les grimaces satisfaites du camarade Boudarel, traître à sa patrie et tortionnaire de ses compatriotes.
La République plaqua là-dessus le sourire glacial de Catherine Deneuve et Mitterrand partit en voyage officiel au Viêt-Nam.
Avant les flons-flons et le cinéma, certains, déjà, se souvenaient, témoignaient de la somme des sacrifices consentis et parlaient pour les héros morts dans un combat perdu. Si la jeune génération sait et honore l’oeuvre de la France et la gloire de ses armes en Indochine, c’est d’abord à Erwan Bergot qu’elle le doit.
Erwan Bergot est mort au Val-de-Grâce dans la nuit du 1er mai. L’actualité lui aura même volé sa part d’hommages posthumes. En avait-il vraiment besoin pour que nous nous souvenions de lui ? Ses livres nous restent. Au même titre que le combat, l’écriture peut être un engagement et la plume, parfois, prendre honorablement le relais de l’épée.
Lorsqu’après une blessure reçue en Algérie et qui l’a laissé aveugle de longs mois, Erwan Bergot doit renoncer au service actif, il ne se croit pas autorisé, à trente-trois ans, à s’installer dans une retraite douillette et prématurée. La guerre qu’il ne peut plus mener sur le terrain, il la fera en livrant le combat des mots et de la fidélité dans une époque avachie, prête à tous les renoncements et qui a oublié jusqu’au sens du mot honneur.
Dès lors, il ne cessera plus d’écrire, publiant une quarantaine d’ouvrages historiques ou romanesques, à la fois soldat et écrivain.

Une unité d’élite pour un homme d’honneur

Mais, comment en était-il arrivé là ?
Bergot était un Breton de Bordeaux, où il était né le 27 janvier 1930. Ses solides études classiques, son goût pour l’histoire et les lettres l’acheminaient doucement mais sûrement vers l’enseignement. Le destin vous joue parfois les tours les plus singuliers.
Appelé sous les drapeaux, incorporé dans les parachutistes, le jeune homme se prenait de passion subite et décisive pour le métier des armes. Sorti aspirant de son stage à Saint-Maixent, choisissant de servir au 11e bataillon de choc, une unité d’élite, il se portait, comme la plupart de ses camarades, volontaire pour l’Indochine.
C’était en 1951. Commençait, sans qu’il le sache, une histoire d’amour-passion à laquelle il vouerait désormais sa vie.

La gloire, le désespoir, l’horreur et l’héroïsme...

Il était venu pour se battre ; il fit le nécessaire pour y arriver. Ainsi se retrouva-t-il, en 1954, dans ce camp retranché dont le nom entrerait bientôt dans la légende : Diên Biên Phû.
Il y a des images et des souvenirs qui ne s’exorcisent pas ; la bataille et la chute de Diên Biên Phû, le sort réservé aux prisonniers, les camps du Viêtminh hanteront Bergot, nourriront son oeuvre de leur gloire, de leur désespoir, de leur horreur et de leur héroïsme.
En 1963, certains polémiquent sur les responsabilités respectives des généraux dans l’anéantissement final. Bergot, lui, se souvient. Jeune officier dans la compagnie de mortiers lourds parachutistes, rattaché au 1er BEP, sous le feu continuel de l’artillerie ennemie, se souciait-il des querelles d’état-major ? Et quand le silence, plus terrible encore que le fracas de la bataille, s’était abattu sur le camp, à 17 heures, le 7 mai 1954, à quoi songeaient-ils, les survivants ? A aucun de ces débats sordides qui réjouissaient maintenant les salons parisiens...
Vivre, survivre, lutter et mourir. C’était cela, et cela seulement, Diên Biên Phû. Et Bergot avait résolu de le dire.
Ainsi naquit son premier livre, "2e Classe à Diên Biên Phû". Récit romancé, dont il disait, lors d’une récente réédition aux Presses de la Cité qu’il était « un devoir de fidélité vis-à-vis de ses soldats ».
Il n’est pas tout à fait faux de prétendre que rien ne ressemble à un récit de guerre comme un autre récit de guerre, et cela, quelle que soit l’époque, quel que soit le camp du narrateur. On s’en lasse pourtant rarement. La raison en est simple : comme les histoires d’amour qui se ressemblent toutes, les histoires de guerre touchent aussi à l’essentiel, aux questions les plus fondamentales, que l’humanité, tant qu’elle existera, ne pourra se dispenser de poser, en n’y trouvant jamais que des réponses partielles.
Mais, poser la question du sacrifice, délibérément consenti, de l’attitude de l’homme face à la mort risquée, provoquée, recherchée, la question du courage, en un temps qui choisissait l’hédonisme, la tranquillité et l’abandon systématique, c’était se résigner à n’écrire que pour les meilleurs. Bergot l’avait accepté.

Ses héros : des êtres de chair et de sang

Ses héros ne prenaient pas la pose devant la postérité ; ils ne jouaient pas un rôle ; ils étaient eux-mêmes, simplement. Ils avaient peur, et ils avaient mal. A certains, il arrivait parfois de défaillir, pas de faillir. Ils n’étaient pas des créatures littéraires, des monstres de papier aux sentiments fabriqués ; ils étaient des êtres de chair et de sang, qui pleuraient, qui tombaient, qui mouraient.
Sous les pseudonymes des romans, dans "2e classe à Diên Biên Phû" ou dans "Convoi 42", le plus grand, le plus dur et le plus beau des livres de Bergot, il y avait eu des visages réels, des garçons qu’il avait connus. Et c’était sa façon à lui de s’insurger contre l’inutilité absurde de leur mort que de les ramener à la vie, le temps d’un livre.

L’ennemi : la machine communiste à broyer les coeurs et les corps

Certains tempéraments sortent des épreuves brisés ou aigris. Bergot appartenait à une autre espèce : celle qui en sort épurée, parvenue à une espèce de sérénité qui ne s’étonne plus de rien si elle reste capable encore de s’indigner. Et cette sérénité le préservait de la haine et de la rancoeur.
Plus d’un seraient revenus de l’enfer des camps définitivement dressés contre l’Indochine et les Indochinois, Pas Bergot, qui leur garda sa tendresse et sa nostalgie. L’ennemi, c’était la machine communiste à broyer les coeurs et les corps ; non les peuples qu’elle avait asservis. L’Indochine restait victime, martyre et non bourreau. Cette terre qu’il avait défendue contre la dictature marxiste, il continuait à l’aimer, Elle était sa nostalgie.
Ayant dit les combats livrés pour elle, il eut l’ambition de décrire ses splendeurs, son peuple, ses moeurs, ses coutumes et l’aventure de ceux qui partirent à la conquête à la fin du siècle passé.
De l’histoire militaire, du roman guerrier, vouloir passer à un genre différent, à la saga, n’était pas une petite ambition. L’échec était à craindre ; ce fut le succès qui vint, quant parut la trilogie de "Sud lointain".

Une justesse dans les sentiments

Cette somme romanesque englobait tous les aspects de la présence française en Indochine. Epargnant les clichés pour cartes postales, les exotismes faciles, le clinquant et la pacotille de bazar oriental, Bergot trouvait les mots justes, qui évoquaient des images fabuleuses, des rêves immenses, des déchirures, des espoirs fracassés. Tant de justesse dans les sentiments, dans le style, dans le ton, qu’ils transportaient le lecteur.
Hommage au passé, monument aux morts, certes, que l’oeuvre de Bergot, mais surtout promesse d’avenir, croyance au renouveau, certitude que les sacrifices, si vains qu’ils aient pu et puissent encore paraître, porteraient, tôt ou tard, leurs fruits.
Ces fruits, Erwan Bergot ne les verra pas ici-bas.
Il a perdu sa dernière bataille, qu’il avait livrée jusqu’au bout, contre le cancer. Ses livres nous restent. Et c’est à ceux qui les aimèrent, qui continueront de les aimer, qu’il appartient de veiller à ce que les moissons soient dignes des laboureurs et des semeurs.

Anne Bernet

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