Au Japon, tout change… pour que rien ne change
:: ONG ::
En écrasant
certes le Parti libéral démocrate (PLD, [自由民主党, Jiyūminshutō], souvent
abrégé en Jimintō [自民党]), le Parti démocratique du Japon (PDJ, [民主党,
Minshutō]) remporte une victoire flagrante, avec 308 sièges sur 480 à
la Diète. En plus de la majorité relative au Sénat, où là il forme une
coalition. Mettant ainsi fin au « système de ’55 », c’est-à-dire le
maintien au pouvoir depuis 1955, année de sa création, du PLD. Certes,
un vent nouveau semble souffler au pays du Soleil-Levant. Avec, pour
faire plaisir aux médias occidentaux, plus de femmes et moins d’«
héritiers » (nom donnés aux députés qui prennent la suite de leur père,
voire de leur grand-père, dans la même circonscription)…
Cependant,
le changement risque de n’être que de façade et ne concerner que
l’étiquette des députés. En effet, depuis 1946, année de la mise de
l’actuelle constitution imposée par les Américains, le vrai pouvoir est
dans les mains de la haute administration, une technocratie encore plus
omnipotente et omniprésente qu’en France par exemple. A tel point que
les députés et ministres PLD faisaient entièrement confiance aux
fonctionnaires pour rédiger les projets de lois. Le rôle des politiques
n’étant donc que formel. De plus, dans ce système très particulier de
démocratie représentative à parti unique, il y avait bien des
distinctions, mais ces factions regroupées autour d’élus ou de
ministres charismatiques n’étant souvent que des groupements d’intérêts
très mercantiles, basé sur un clientélisme exacerbé.
D’autant qu’au
sein du PDJ, ces mêmes factions sont présentes, dont la fameuse faction
Tanaka, du nom de l’ancien Premier ministre japonais, Kakuei Tanaka.
Premier ministre populaire, car non issu du sérail. Son gouvernement
est tombé dans les années 70 suite au scandale Lockheed (une affaire de
pots-de-vin). Ainsi, l’ancien président du PDJ - obligé de démissionner
suite à un scandale de corruption au printemps dernier -, Ichiro Ozawa,
a commencé sa carrière au PLD sous la protection de Kakuei Tanaka. Et
Ichiro Ozawa semble vouloir créer sa propre faction au sein du PDJ…
De
plus, le futur Premier ministre, Yukio Hatoyama, a commencé sa carrière
au PLD, comme son frère, et Hatoyama est le fils de l'ancien ministre
des Affaires étrangères de Takeo Fukuda (1976-1977) Iichirō Hatoyama,
le petit-fils de Ichirō Hatoyama, ancien Premier ministre japonais
(1952-1954) et fondateur du PLD, et l'arrière petit-fils de l'ancien
samouraï Kazuo Hatoyama qui fut président de la Chambre des
représentants de 1896 à 1897. Il est également le frère aîné de Kunio
Hatoyama, qui est lui aussi engagé dans la politique japonaise mais au
sein du Parti libéral démocrate et qui fut ministre de la Justice des
gouvernements Abe puis Fukuda de 2007 à 2008 ainsi que ministre des
Affaires intérieures et des Communications dans le gouvernement Aso de
septembre 2008 à juin 2009. Certes, Yukio Hatoyama a voulu éviter
d’apparaître comme un « héritier » en se présentant dans une autre
circonscription que celle de ses aïeux. Il est ainsi élu dans l’île de
Hokkaido. Il est également issu d’un milieu très fortuné. Son
grand-père maternel n'est autre que Sojiro Ishibashi, le fondateur du
fabricant de pneus Bridgestone. Grâce à cette ascendance, Yukio
Hatoyama fait partie des plus grosses fortunes de la Diète du Japon,
avec un patrimoine actif qui s'élèverait en juillet 2009 à 1,65
milliards de yens (soit environ 13,8 millions d'euros). Il est
également très proche du sérail, car il a fait, comme son frère et la
plupart des membres de sa famille, l'essentiel de sa scolarité, du
primaire au collège, au sein de la prestigieuse Compagnie scolaire
Gakushūin, institution privée connue pour être essentiellement réservée
aux enfants de l'aristocratie japonaise.
Ensuite, contrairement à ce
que proclame la presse, ce n’est ni une victoire de la gauche ni du
centre ou centre-gauche. Ces catégories « occidentales » n’ont pas
cours pour décrier le PDJ, qui semble n’être qu’un rassemblement
d’anti-PLD, où les tendances iraient, en France du PS au MPF, en
incluant le Modem et une partie de l’UMP. Un parti-coalition, ayant
lui-même besoin d’une coalition pour gouverner… C’est pourquoi
Bruno Gollnisch peut affirmer dans un communiqué que : « parmi les
responsables [du PDJ] je compte aussi plusieurs amis. »
Mais on
peut minorer l’espoir de voir le PJD faire sans doute plus de part à
l’indépendance et à l’identité nationales que celle de leurs
prédécesseurs. Car, si pendant la campagne des législatives et selon le
souhait de certaines tendances, le PJD a voulu revoir l’accord de
sécurité entre le Japon et les Etats-Unis, à peine élu, Yukio Hatoyama
a précisé au président américain Barack Obama que l'étroitesse des
relations entre Tokyo et Washington resterait une base essentielle de
la politique nippone. D’autant que les Etats-Unis ont exclu de
renégocier un accord sur la présence de bases américaines au Japon.
Même
si le nouveau gouvernement souhaite développer ses relations avec ses
voisins, notamment la Chine et la Corée, il risque fort de ne rester
qu’un nain au plan diplomatique.
Arnaud Naudin