Sur le livre "le Siècle de 14" de Dominique Venner
Pauline Lecomte (journaliste) : Ne peut-on établir une certaine analogie entre ce que l’Europe a
vécu depuis 1945 et ce que l’Asie, notamment la Chine, avait elle-même
vécu pendant un très gros siècle, à compter des guerres de l’Opium
jusqu’à une période récente ?
Dominique Venner : Malgré toutes les différences, le détour par la Chine est en effet
intéressant pour prendre des distances et comprendre le sort de
l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. La Chine était en
possession d’une histoire multimillénaire et d’une civilisation qui
pouvait largement rivaliser avec celle de l’Europe. Elle avait connu
également des ruptures historiques, des invasions, dont elle avait
triomphé, se retrouvant toujours elle-même. Comme vous l’avez dit, tout
a changé pour elle à partir des guerres de l’Opium, avec l’épisode
extrême, en 1860, de la conquête de Pékin et du sac du palais d’Eté par
un corps expéditionnaire franco-britannique. La Chine fut alors
contrainte d’ouvrir ses ports au commerce et à l’influence des
Occidentaux sans pouvoir s’y opposer. Le traumatisme fut immense. Pour
la première fois dans sa longue histoire, la Chine douta d’elle-même et
de sa civilisation. Les nouvelles générations se convainquirent que la
tradition était la cause du déclin. Pour se moderniser et retrouver de
la puissance, il fallait se débarrasser des valeurs ancestrales et
adopter celles de l’Occident, y compris le communisme. Ce fut l’origine
des révolutions en chaîne jusqu’aux délires sanglants du maoïsme. Après
quoi, sous Den Xiaoping, ébranlée par le recul de l’URSS, influencée
aussi par l’exemple du Japon et plus encore de Singapour, la Chine –
c’est-à-dire ses hiérarques - a fait le choix de suivre sa propre voie.
Elle a pris à l’Occident américain les recettes de l’économie libérale,
mais en conservant un système politique autoritaire efficace et en
faisant, sur le plan spirituel, retour aux sources du confucianisme.
Toutes proportions gardées, depuis la Seconde Guerre mondiale, les
Européens ont subi sans le savoir un traumatisme analogue à celui
qu’avait éprouvé la Chine à la fin du XIXe siècle. Nous avons perdu foi
en nos propres valeurs que nous ne connaissons même plus. Nous imitons
donc le modèle américain, même quand nous le critiquons, n’ayant plus
la liberté d’imaginer un avenir vraiment européen.
PL : Pensez-vous que l’exemple de la Chine et de tous les autres réveils identitaires puisse à l’avenir stimuler les Européens ?
DV : Pour les Européens, l’association de la modernité et de la
tradition telle qu’on l’observe en Asie est un mystère troublant.
Imprégnés par une vision finaliste de l’histoire, la culture du
Progrès, le mépris du passé et notre absence de longue mémoire, nous
sommes désemparés devant le formidable mouvement mondial du retour
identitaire. Nous le prenons même pour une régression : quelle idée,
n’est-ce pas, d’en appeler à Confucius, Moïse ou Mahomet ! Dans notre
égarement, nous cherchons des solutions techniques (politiques,
économiques, organisationnelles) à une crise de civilisation qui est
spirituelle. Il nous est donc difficile de comprendre qu’un
informaticien musulman est d’autant plus performant qu’il se nourrit du
Coran, que l’Etat d’Israël prend appui sur la Torah et que la
modernisation de l’Inde est inséparable du retour à l’hindouisme. C’est
pourtant la réalité. La modernité technique n’est bien vécue que par
les peuples assumant vigoureusement leur identité par le retour à leurs
sources. En dehors de l’Europe, la page a été partout tournée de la
quête de la modernité par imitation de l’Occident américain et par
rejet de la tradition.