Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
O.N.G. - Extrême-orient(é)
1 mars 2009

Gran Torino, un film politiquement incorrect

gran_torino_movie_poster_1

Après Million dollar baby, Clint Eastwood rejoint de nouveau le devant de la caméra pour sortir un film, Gran Torino. Aujourd’hui âgé de 79 ans, c’est un véritable testament qu’il laisse derrière lui. Et quel testament !

Image Hosted by ImageShack.us Quelque part dans une banlieue américaine, où les vieux pavillons s’alignent le long des petites routes de campagne, vit un vieil homme. Campé par Clint Eastwood, un ancien ouvrier et soldat de la guerre de Corée, Walt Kowalski, assiste à une messe dite en l’honneur de sa femme qui vient de mourir. Debout, drapé dans une triste solennité, il dissimule mal son désarroi. Car sa femme Dorothy, en le laissant veuf, lui enlève également le peu qui lui restait de l’ancien monde dans lequel il a toujours vécu. Cet ancien monde, il ne l’a pas vu partir, et pourtant il ne le voit plus. Tout ce qu’il voit, ce sont ses deux fils, deux hommes balourds qui ont perdu tout respect pour lui, ou sa petite-fille Ashley, l’anneau à la narine, qui préfère la compagnie bruyante et désinvolte de son téléphone portable aux dernières paroles prononcées pour Dorothy.

Walt, devenu une gargouille grimaçante (ce que ses fils ne manquent pas de faire remarquer), est de prime abord un personnage foncièrement antipathique. Il se mêle peu aux gens, reste sur une franche réserve qu’on lui rend de manière plus policée. D’une certaine manière, on le comprend. Lors du repas-buffet qui suit la messe, trois fois plus de gens sont présents, attirés par le fumet du jambon gratuit. Ashley ne s’intéresse à son grand-père que lorsqu’elle voit dans ses biens quelque chose qu’elle pourrait obtenir, ses fils ne savent pas comment le prendre et cherchent à se débarrasser de lui plutôt qu’à le comprendre. Et tout autour de lui, son quartier n’est plus le même. Une famille de l’ethnie asiatique Hmong a emménagé à côté de chez lui, une famille nombreuse, qui lui rend œil pour œil les remarques surannées qu’il a à leur égard. La vieille de la famille le dit d’ailleurs bien ; lorsqu’il la regarde, défiant, sur le pas de sa maison, elle répond dans sa langue maternelle « eh bien, petit Blanc, tous tes pareils ont quitté le quartier ; que fais-tu encore ici ? »

Alors, se raccrochant tant bien que mal à sa vie passée pour ne pas sombrer dans la démence, Walt reste sur ses gardes. Dans ce rôle, Eastwood se moque presque de lui-même, tant ses expressions faciales traduisent l’humeur sombre du vieil homme à qui il donne vie. Il est attentif à tout, à sa maison qui est devenue une partie de lui, à des mœurs qu’il est le seul à conserver, comme un gardien devenu triste à force de tenir son trésor sans que personne ne daigne le voir. Il est irascible, à cheval sur tout, schizoïde. Il est aussi politiquement incorrect. Xénophobe, même.

« Eh bien, petit Blanc, tous tes pareils ont quitté le quartier ; que fais-tu encore ici ? »

Pourtant, cette xénophobie n’est pas antipathique au spectateur. Quand Walter lance quelques phrases au sujet des « faces de citron d’à côté » ou des « humong » (à la place des Hmong), il détend l’atmosphère, et le spectateur s’amuse de ses traits d’humour. Décidemment, Clint Eastwood s’aventure en un terrain très peu correct… Vu les critiques parues jusqu’à présent, on remarque néanmoins que la majesté de sa réalisation le place au-dessus de tous les clivages politiques partisans. Si ce film est sec de toute morale humide et lénifiante, il aborde les choses d’un point de vue totalement décalé. On tombe sous le charme. Clint Eastwood joue un personnage d’abord antipathique, mais au fond très humain, auquel on finit par devenir tout à fait sensible. Comment en vouloir à ce vieil homme, attaché à ses souvenirs, des souvenirs qui sont devenus une partie de lui ? Et comment apprécier les gens qui l’entourent, tel son fils venu lui souhaiter bon anniversaire en lui offrant un téléphone à touches géantes et un aller direct pour une maison de retraite ? Plus on découvre les personnages qui gravitent dans la vie de cet homme, plus notre antipathie spontanée disparaît, laissant place à un sentiment beaucoup plus humain : comprendre cette défiance, son franc-parler et le point de vue de quelqu’un pour qui le politiquement correct n’a jamais été qu’un mauvais rêve. Comprendre jusqu’à le ressentir soi-même, car on a beau vivre de l’autre côté de l’Atlantique, l’Occident dans lequel vit cet homme est aussi le nôtre.

En attendant de rejoindre sa femme dans l’au-delà, Walt bricole chez lui ou boit quelques bières sur son patio. Parmi les souvenirs qu’il chérit particulièrement se trouvent un fusil Remington, arme de guerre issue de sa période de soldat, qu’il garde impeccable, et une voiture Gran Torino 1972. Pour lui, c’est plus qu’une voiture. Elle lui rappelle les années où il travaillait chez Ford, de longues années de labeur qui l’ont usé, mais qu’il ne regrette pas ; cette voiture, c’est aussi le jour où elle est sortie toute armée de la chaîne de montage où il gagnait sa vie, pour ne plus jamais le quitter.

« Bon Dieu, je suis plus proche de ces niaquoués que de ma propre famille pourrie ! »

Tout bascule le jour où Walter chasse un gang de délinquants Hmong venu s’imposer chez ses voisins. A la base, lui et ce gang n’avaient rien à voir. Ils se sont simplement invités pour châtier Thao, un jeune homme de la famille, qui a pour cousin le chef du gang et qui refuse de suivre ses traces sur le chemin de la délinquance. Etranger à tout cela, Walt n’en est pas moins sorti de sa maison, le fusil à la main, pour que le gang quitte la pelouse de la demeure voisine (et sa pelouse également) manu militari. Ce faisant, il sauve Thao d’une punition certaine. C’est le début d’une reconnaissance à son égard, qui va bientôt évoluer en un attachement touchant.

Voilà Walt devenu malgré lui le héros de ses voisins. Désormais, son patio est quotidiennement couvert de fleurs, de nourriture et d’autres cadeaux asiatiques offerts en remerciement pour son geste. D’abord méfiant, il finit par avoir une certaine sympathie pour le jeune Thao, à qui il apprend à bricoler ou qu’il aide pour trouver un travail. Sa « xénophobie » est au fond toute relative, et on ne se sent pas plus ému que lorsqu’il tousse du sang, dans sa salle de bain, et s’écrie entre deux crachats rougeâtres : « bon Dieu, je suis plus proche de ces niaquoués que de ma propre famille pourrie ! » Comme eux, il est un rescapé d’une guerre contre un ennemi évanoui, une guerre qui n’effraie plus que ceux qui l’ont connue, car les autres la balaient d’un trait de plume. C’est avec eux, plus qu’à sa famille de parfaits consommateurs intéressés, que ce patriote va se lier…

Clint Eastwood signe là une œuvre politiquement incorrecte, aussi humaine que touchante. Son éclairage cru, qui rappelle parfois son film Lettres d’Iwo Jima sur la bataille d’Iwo Jima pendant la seconde guerre mondiale, montre sans pathos l’Occident d’aujourd’hui. Un Occident de faux-semblants, de pique-assiettes, où l’on consomme dans une frivolité dépourvue de sens et où les quartiers jadis blancs deviennent méconnaissables à ceux qui y ont passé leur vie. On contemple la vie du vieil homme comme un historien scrutant le récit d’une bataille, d’un combat ultime dont il connaît déjà l’issue, mais qu’il doit scruter avec minutie jusqu’à son terme.

Sans haine, et avec un souci du détail implacable, Clint Eastwood montre une histoire qui pourrait très bien être vraie, quelque part dans une petite bourgade des Etats-Unis, perdue on ne sait où. La réalisation, comme le personnage qu’il joue, tout est magistralement mis en scène avec une sobriété à couper le souffle. Un film à voir d’urgence !

Geoffroy Soubis pour Novopress France

Publicité
Commentaires
Publicité