Je ne leur pardonnerai jamais
Ce n'est pas moi qui ai le plus
souffert. Je suis plus jeune que les autres, mes années de bandera en
Pays thaï m'ont appris à vivre de peu et j'ai pu m'endurcir.
Je
maintiens ma discipline : tous les matins jogging, exercices physiques.
Certains officiers me suivent. La plupart n'en sont pas capables. Ils
maigrissent à vue d'œil, ne peuvent plus tenir debout, meurent de
dysenterie ou de fièvre. Et tout ça sous le regard indifférent des
Viets.
Le sort des soldats a été pire encore. Ils ont fait des centaines de
kilomètres à pied. Après 57 jours de combat, on les a fait marcher
au-delà de leurs forces. Les blessés sont abandonnés et crèvent au bord
des routes. Je l'ai dit et répété : pendant ces 4 mois d'horreur
totale, les deux tiers meurent. Nous sommes partis à 12 000 et revenons
à 4000. Je ne leur pardonnerai jamais.
Certains d'entre nous n'ont plus rien d'humain, à peine des cadavres
ambulants. La fin, la mort lente de tant de camarades, jamais je ne
pourrai l'oublier.
Ma guerre d'Indochine, Bigeard.