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O.N.G. - Extrême-orient(é)
28 novembre 2008

Un littérateur populaire et un véritable écrivain

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Parmi les lecteurs passionnés, certains sont devenus écrivains, et l’influence de Bob Morane fut sur eux déterminante. Plusieurs témoignages ont été recueillis par Daniel Fano, dont celui de François Taillandier : « Il y a peu de romanciers. C’est-à-dire des gens qui couvrent avec leur récit l’ensemble de la réalité disponible. Il y a Balzac. Il y a Simenon. Qui d’autre ? Eh bien, certainement, Henri Vernes. […] Il nous prenait pour ce que nous étions : de futurs hommes, encore reclus dans une enfance, dans une cour d’école, et qui rêvaient d’étreindre le monde entier. Dans Bob Morane, un adulte intelligent nous disait la vérité, à savoir que le monde est vaste, plein d’imprévus, de ciels immenses, de bateaux qui appareillent, de gens courageux qui se battent contre le mal. » Dans le bureau de Taillandier, à côté des photos d’Honoré de Balzac et d’Edmond Rostand, Henri Vernes : « Il est en veston, le col de chemise ouvert, en train de taper à la machine.

C’est en voyant cette photo que, vers 12 ans, j’ai compris que je serais ça, que je ferais ça. » Ce sont parfois des paternités littéraires inattendues que monsieur Vernes a dû reconnaître, flatté et incrédule. Un beau jour, dans un salon, l’homme à la crinière brune et à la chemise blanche, le seul vrai reporter de guerre et journaliste d’investigation existant encore aujourd’hui, héritier de Malraux et de Sartre, BHL himself, se dirige vers lui : « Monsieur, c’est grâce à vous que je suis devenu écrivain ! » Révélation pour le moins surprenante, mais qui a le mérite d’apporter un éclairage inattendu sur la psychologie de notre justicier planétaire (Bernard, pas Bob), sa manière de rêver sa vie et ses combats.

Et puis, il n’y a pas loin de Sophia Paramount à Arielle Dombasle… On peut regretter que BHL ne se soit pas inspiré de la fluidité et de la légèreté du style d’Henri Vernes, qui, tout littérateur populaire qu’il soit, n’en reste pas moins un véritable écrivain : « Pour les besoins de mon livre, j’ai relu un certain nombre de Bob Morane, confie Daniel Fano, et j’ai constaté que la magie fonctionnait toujours, à des années de distance. C’est pourquoi j’ai sélectionné une dizaine de textes pour en faire une anthologie : on y retrouve son talent narratif dans les scènes d’action comme dans les dialogues, dignes d’un certain théâtre classique ou du cher Alexandre Dumas. » D’autres, très rares, sont devenus écrivains et aventuriers, concrétisant dans leur vie d’adulte leurs rêveries d’adolescent. L’explorateur Patrice Franceschi le reconnaît volontiers : « Tout ce que j’ai réalisé dans mon existence, c’est à cause d’Henri Vernes ! » La Vallée infernale, il l’a vraiment connue, au cours de ses multiples expéditions au cœur de l’Irian Jaya.

Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais il faut voir un baroudeur de 50 ans, qui a connu la guerre en Afghanistan et les marais putrides de la jungle du Congo, devenir un enfant à l’idée de rencontrer un jour son idole : « Il faut qu’il vienne sur La Boudeuse [le navire de Patrice Franceschi, ­amarré à Paris pour quelques mois avant de repartir pour le cap Horn et l’Amérique du Sud], afin que je rembourse ma dette envers lui. » Ils auront certainement des choses à se raconter. Car si Henri Vernes refuse de se définir comme un aventurier, sa vie fut loin d’être celle d’un écrivain en robe de chambre. Fugue à 18 ans en compagnie d’une belle Chinoise, madame Lou, qui se révélera à Hong Kong tenancière de bordel, Résistance, espionnage, mariage avec la fille d’un diamantaire anversois, puis divorce, journalisme et noce à Saint-Germain-des-Prés après la guerre, séjours en Haïti, au Brésil, en Colombie, au Canada, en Corée, rencontre avec Papillon, le célèbre bagnard, Consuelo de Saint-Exupéry, et, bien sûr, Jean Ray, maître de la littérature fantastique, un de ses principaux mentors. Et puis, tout de même, trois livres par an…

Le début du prochain, celui qui est posé sur le petit bureau au cuir vert et usé, laisse présager au lecteur de belles heures d’émotions fortes : « Au bord de l’étroite sente, à demi-bouchée par la végétation, qui s’enfonçait à tra­vers la forêt pluviale, une pancarte, accrochée au tronc d’un bananier, disait en let­tres noires sur fond blanc, le tout plastifié : “PRIVATE, NO TRESPASSING. »

Vladimir de Gmeline (Valeurs Actuelles 22-02-2008)

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