Il me semble lire un « Signe de Piste »
Nous repartons, confiants, le cœur gonflé. Ça ne peut pas être aussi
facile ? Où est le piège ? Rien n'entrave notre pas dans cette vallée
si plate que l'eau hésite. Notre foulée s'allonge, nous avalons des
bouts d'espace, mangeons de l'air. Les appels des marmottes, concierges
de la vallée, se répercutent dans la combe comme des coups de sifflet.
Peur du gendarme ! Nos cœurs bondissent dans nos poitrines et nous
fichent des coups de sang !
Le déclin du jour nous mène à une tente isolée entourée d'un vaste
troupeau de chèvres. « Tachideleg !? » Cinq gamins en jaillissent pour
retenir à cor et à cri deux fauves lâchés toutes babines retroussées
sur deux gueules pleines de dents : des dogues du Tibet. Adrénaline !
Les chèvres saisies de panique s'égaillent tout azimut. Les mastifs se
font mettre la main au collet et des taloches par deux mioches plus
petits qu'eux. Le soufflé retombe. Nous soufflons. Le club des cinq
nous accueille, d'abord méfiant, mais déridé à la faveur de quelques
pitreries. L'aîné a douze ans. Ils ont cent cinquante chèvres bâtées de
sarrasin à mener jusque Taklakot, côté chinois, par la vallée de Limi.
Ils viennent aussi de Simikot. Ça calme !
Il me semble lire un « Signe de Piste » de mon enfance, et voici, en la
personne de cet étrange garçon déjà si responsable, le « Prince Eric »
et son « Bracelet de vermeil » (de cuivre), et cet autre gamin avec sa
« tache de vin » sur la joue gauche ! Trop fort ! Quelle étrange
coïncidence ! Et affluent tous mes rêves d'alors, rêves de feux de
camp, de liberté, de bivouacs et d'aventure, rêves de bravoure et de
rencontres. Ces enfants m'offrent une relecture. Relecture de moi-même.
Relecture du souffle épique qui anime le monde des petits garçons, mais
que la vie a tôt fait de repousser à plus tard. Sans doute ne faut-il
pas grandir trop vite.
La Marche dans le ciel - Sylvain Tesson et Alexandre Poussin