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O.N.G. - Extrême-orient(é)
8 août 2008

Entrevue royaliste et militante

J1

ONG : Bonjour Juliette, pourriez-vous vous présenter ?
J : Mes parents se sont rencontrés à Paris, à la terrasse du Flore... Ma mère, japonaise, était censée rentrer au Japon avec son groupe où elle officiait comme tour-operator en job d'été et badabing... Coup de foudre, elle reste en France, quitte à se fâcher avec son père (elle est la seule de la famille à avoir quitté le Japon).
Je nais en 1973 en Normandie pendant les vacances de mes parents. Si ce n'est cette région de naissance, pour laquelle j'ai le plus grand attachement, j'ai toujours vécu à Paris. Cela a sans doute permis que je côtoie autant de mouvements différents.
Education "fabo" (fasciste bohème), voire "fada" (fasciste-dadaïste), anti-conformiste et surtout anti-démocrate d'un père plutôt esthète intello - fils d'un traducteur de Lewis Carrol et éditeur des Surréalistes - et d'une mère - fille d'un membre de la garde personnelle de l'Empereur et soldat pendant plus de 10 ans durant la guerre sino-japonaise et la guerre du Pacifique - qui avec beaucoup de force et de courage devient une antiquaire respectée à Drouot.
Dès mon plus jeune âge je puise dans la bibliothèque où je trouve des auteurs avec des noms imprononçables : Nietzsche, Spengler, d'Annunzio... Je ne comprends pas tout, loin de là, mais je sens qu'il se passe là quelque chose de différent, de fort et d'éternel. Toujours piqué dans la bibliothèque (oui, je n'ai pas beaucoup de mérite) il y eut ensuite Rebatet, Maurras, Brasillach mais également Bram Stocker, Mishima, Cocteau, Pound, Evola, Artaud... J'avais 16 ans et je pressentais toujours que là se nichait ce qui allait me guider durant toute ma vie.
Au lycée, je commence à acquérir une "conscience politique" face aux discours même pas crypto-marxistes de mes professeurs d'histoire et de philosophie. Je prends beaucoup de plaisir à les contredire et à me faire virer de cours... Je découvre en 1988 qu'il y a une librairie nationaliste près de Montparnasse, La Librairie française, tenue par Jean-Gilles Malliarakis. J'y passe beaucoup de temps et collectionne les porte-clefs et badges les plus branques (je porte la grille de Codreanu à cette époque)... J'assiste de loin à des manifs de TV, n'osant pas intégrer les rangs.

ONG : Comment avez-vous connu l'Action Française et quel a été votre parcours en son sein ?
J : En 1989, je tombe sur une vente à la criée à St Germain de l'AF. J'achète le Feu Follet (le journal des étudiants d'AF). Ma sensibilité anti-démocrate n'est pas insensible au charme des vendeurs. Je note l'adresse des locaux et débarque un beau jour de septembre 89. Je suis assidument les cercles de formations et comprends que la Monarchie est le meilleur des systèmes.
Je découvre aussi le sens du mot "camarade", à grand coup de pintes de cervoise et de séjours au poste. Je m'y fais mes meilleurs amis, de ceux qui sont encore et toujours là. Je deviens une militante maurrassienne bornée et infatigable qui endant plus de 4 ans non stop, organise sa vie pour l'AF. Une énième scission en 93 provoque le départ de tout le monde (en tout cas, des bons). Enervée et écœurée, je quitte ce qui avait conditionné chaque instant de ma vie, ce qui m'avait fait me sentir tellement vivante, m'avait fait aimer la France si fort, m'avait appris le courage physique et politique.

ONG : Comment vous est revenu le gout pour le Japon ?
J : De 93 à 2005, sous l'impulsion de ma mère, je découvre le Japon avec des yeux de grande (je n'y étais allée que 2 fois avant 93) et comprends à quel point je me sens japonaise et à quel point je suis française. Je pense que ces voyages m'ont permis de comprendre qui j'étais, de rencontrer ma famille japonaise, d'échanger quelques mots avec eux (je me suis mise à l'apprentissage du japonais à 30 ans). De comprendre pourquoi j'aimais la patrie de ma mère et pourquoi je défendais la patrie de mon père. Il y a près d'un an, l'amitié en particulier d'un camarade plus jeune mais très impliqué à l'AF m'a fait me souvenir que l'on demeure toujours "royco"... J'ai toujours méprisé les royalistes salonnards et ne pouvais conçevoir de revenir à la vie politique sans m'impliquer totalement. J'ai retrouvé ce boulet pesant mais qui m'est indispensable : l'engagement.

ONG : Vous dites "la Monarchie est le meilleur des systèmes", pourriez-vous expliciter votre propos ?
J : Je n'ai pas, ou plutôt plus envie de tenir le discours bien formaté que je pouvais tenir à l'époque... Je n'en n'ai dorénavant ni la patience, ni l'énergie. Maintenant je me retrouve principalement dans la défense d'un système politique où le Roi, de par sa nature propre, incarne la Nation. Je suis monarchiste parce que nationaliste. L'autre dimension qui est devenue essentielle à mes yeux consiste dans le lien sacré qui existe dans le principe royal. Ce lien est pour moi le meilleur garant de la légitimité du Roi (ou de l'Empereur). D'un point de vue plus personnel, je continue aussi de défendre la monarchie par fidélité envers ce que j'ai pu être ou faire, envers mes camarades ainsi qu'envers des convictions qui sont devenues des certitudes.

ONG : Il est de bon ton de dire qu'un enfant né de parents de cultures différentes se perd entre deux identités, êtes vous d'accord et comment avez-vous vécu le fait d'être franco-japonaise ?
J : La perte de repères identitaires me semble une évidence... Mais ce qui est perdu peut être retrouvé, compris et accepté. C'est une voie qui pour moi, a pris du temps car on doit cheminer seul et répondre à beaucoup de questions qui parfois restent sans réponse. C'est lors d'un voyage au Japon que tout est devenu évident pour moi car plus je comprenais le Japon et les Japonais, plus je saisissais à quel point j'étais française. Cela ne remet absolument pas en question la fierté que j'ai d'avoir la moitié de mon sang "jaune", mon admiration pour certains traits du caractère japonais et ma totale mauvaise foi (parfois...) quand il s'agit de défendre le Japon sur des points indéfendables. Mais mon attachement à la France, à ses traditions et à ses passions, le fait simplement d'être française, tout ceci a été déterminant dans cette quête de repères et d'identité retrouvée.
Je signale aussi en passant que je n'ai jamais eu à subir de racisme, bien que fréquentant les milieux dits les plus racistes, que cela soit en France ou au Japon.

ONG : On a l'habitude de dire que le Japon se situe entre tradition et modernité. Est-ce toujours le cas selon vous?
J : C'est effectivement la vision du Japon que l'on illustre communément avec des photos de femmes en kimono traditionnel marchant dans des quartiers à l'architecture futuriste... Je ne suis pas certaine que cela soit la spécificité du Japon. Ces contrastes, nous pouvons les trouver dans beaucoup d'autres pays. Néanmoins, ce que nous pouvons facilement remarquer, c'est que le Japon est très fortement ancré dans une tradition historique, politique et religieuse, renforcée par son caractère insulaire, à forte dominante nationaliste.
En ce qui concerne sa stratégie économique, le Japon a retenu le modèle libéral, facteur de son positionnement en tant que seconde puissance industrielle, mais facteur également de l'apparition du chômage (vécu comme une perte de l'honneur) et de misère morale et matérielle : depuis quelques années, les jardins publics et les gares sont habités par des centaines de SDF, dont beaucoup ont pu garder leur travail, mais ni leur famille, ni leur toit.
J'ai craint à un moment que le Japon perde son âme sous le modèle américain, et même si il est de bon ton que les enfants de familles riches fassent leurs études aux Etats-Unis, il suffit de s'adresser à des japonais en anglais (même à Tokyo) pour se rendre compte que, ouf, peu sont ceux qui vous comprennent... Pour moi ce qui fait la spécificité du Japon c'est un pays à l'histoire prestigieuse, à la nature riche et diversifiée (70% du territoire est recouvert de forêts), une nation où le peuple cherche à se dépasser dans l'excellence, aidé en cela par la pratique du shintoïsme, quasi religion d'état... Mais on me dira sans doute, et avec raison, que l'on ne voit que ce que l'on a envie de voir.

ONG : Vous avez connu le militantisme de terrain, pourriez-vous nous narrer votre plus belle action ?
J: Sans hésitation, la Jeanne interdite de 1991. Pour les souvenirs qu'elle m'a laissé à vie, pour ce moment rare où nous nous sommes tous sentis de vrais Camelots du Roi. Nos prédécesseurs s'étaient battuspour imposer en 1912 la reconnaissance officielle de ce défilé, nous n'allions pas accepter sans broncher qu'on nous l'interdise.
Matin : de la place Saint Augustin à la place des Pyramides, ce sont des dizaines de cars de CRS qui nous attendent. Des barrières mobiles sont disposées un peu partout sur la chaussée. Nous arrivons par petits groupes jusqu'à la place des Pyramides, déterminés et prêts à en découdre, même si le déploiement des forces de l'ordre est très très impressionnant... L'atmosphère est chargée d'électricité. C'est un camarade, un ancien, qui ouvre le début des affrontements en chargeant en voiture les lignes de CRS qui bloquent l'accès à la statue de Jeanne d'Arc. Il pile devant la statue et bondit de sa voiture avec une gerbe de fleurs qu'il parvient à jeter aux pieds de la Sainte. Les CRS essaient de le maitriser, une dizaine de militants
viennent à sa rescousse. Durant toute la matinée, dans un climat de chaos extrême, nous les chargeons de toute part, les empêchant de cadrer la situation. Ca court dans tous les sens, les sympathisants sur les trottoirs, nous encouragent. Un ancien combattant, de dégoût, jette ses décorations aux pieds des flics. 52 militants seront interpelés dans la matinée.
Midi : Les CRS à nos trousses, nous nous replions vers nos locaux après une course poursuite haletante. Ils nous y suivent et font finalement demi-tour sous les fenêtres de l'immeuble qui a pris des airs de Fort Chabrol. Voulant profiter d'un effet de surprise, à peine notre souffle retrouvé, nous sommes une centaine à repartir au pas de course, direction le 5ème arrondissement et prenons d'assaut le Panthéon. Après avoir courtoisement mais fermement viré tous les touristes à l'intérieur du temple de la république, nous nous enfermons et scellons la grille de l'entrée à l'aide d'une chaine de scooter d'un camarade. Direction les toits du Panthéon... En haut, c'est un sentiment de joie et de fierté. Juchés au bord du vide, nous voyons en bas des centaines de gardes mobiles encercler le bâtiment, mais aussi des sympathisants, la presse, les télés, mais également un ramassis d'étudiants gauchistes vociférants provenant des facs aux alentours. Nous leur répondons en criant nos slogans et en chantant nos chansons dans un climat d'euphorie et de détermination.
J'ai appris plus tard que la police, en totale panique, avait fait boucler les stations de métro autour de l'Elysée et renforcer la sécurité autour des commissariats où étaient retenus les militants arrêtés le matin. Les gardes-mobiles passent à l'action et coupent la chaîne de la grille. Nous les entendons qui montent vers nous. Nous les attendons... Le commissaire du 5ème arrondissement s'adresse à nous d'un ton mi-conciliant, mi-menaçant et nous explique "qu'on ne va pas risquer un accident en haut des toits...". La presse et les caméras des télés sont montés avec eux. Nous donnant sa "parole d'homme", il nous promet que personne ne sera arrêté.
Nous décidons de quitter les toits, doutant de sa parole de flic, et quoi qu'il advienne ensuite, néanmoins satisfaits de leur avoir tenutête depuis le matin. Une fois en bas, les gardes-mobiles se saisissent de nous violemment : 96 interpellations. Des sympathisants, au cris de "libérez nos camarades" tentent de bloquer le départ des fourgons qui tanguent dangereusement tant le chahut à l'intérieur est grand. Même embarqués, notre sentiment est celui de la victoire globale avec la certitude d'avoir vécu un moment de résistance rare et précieux. Le lendemain, les derniers militants quittent les commissariats.
Bilan : 148 arrestations, une vingtaine d'inculpations, autant de flics au tapis. Des articles dans toute la presse, sur toutes les chaines de télé. L'interdiction de défiler sera levée l'année suivante.

ONG : Enfin, quelle différence y'a-t-il entre militer à votre époque et maintenant ?
J : Bon, on va essayer de rester enthousiaste, convaincue et de ne pas faire ancienne combattante nostalgique...  A la fin des années 80, la rue était le terrain de jeux et de baston d'une multitude de groupes qui se distinguaient par leurs musiques, leurs idées politiques, leurs moyens de locomotion, leurs tatouages... Tous faisaient partie de la joyeuse bande des "lookés". Croiser une bande de skins ou de punks était du domaine du courant. Même si ce n'était jamais très rassurant pour le parisien de base, au moins, c'était rentré dans son paysage urbain quotidien. Il était admis que des bandes de jeunes aux signes très distinctifs se tapent régulièrement dessus quand ils se rencontraient. Il était donc admis, de fait, que des personnes aux idées différentes s'affrontent, revendiquent et défendent ce qu'ils étaient.
Quand je suis arrivée à l'AF, j'ai intégré un mouvement dont les membres se réclamaient de la "Génération Maurras". Nos ventes à la criée étaient le reflet de cette diversité générationnelle : vendant côte à côte et scandant les mêmes slogans, on trouvait des fils d'ouvriers, des aristos, des neusks, des cathos, des païens, des mods, des romantiques, des pragmatiques...
Je pense que c'est là que réside la différence entre militer à l'époque et maintenant. L'uniformisation actuelle des genres et donc de la pensée dévaste tout, à tel point que se rebeller est devenu pour une grande majorité des gens un acte superflu et incompréhensible. Dans ce contexte, continuer de se battre pour ses idées est plus que jamais une manière de rester vivant.

9gwryp

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